Interview / Le podium en proto de la première étape de la Mini Transat 2019 refait le match

François Jambou, Axel Tréhin et Tanguy Bouroullec

Axel Tréhin, François Jambou et Tanguy Bouroullec, podium en proto de la première étape de la Mini Transat La Boulangère refont le match de cette première épreuve.

La première étape de la Mini Transat La Boulangère 2019 s'est achevée ce lundi 21 octobre avec les dernières arrivées en prototype comme en série. Sur les 87 partants au départ de La Rochelle, seulement 4 skippers ont abandonné. Ce sont donc 83 Ministes qui ont rejoint les Canaries et prendront le départ de la 2e étape, le 2 novembre prochain.

En catégorie Proto, l'étape a offert beaucoup de suspense et de rebondissement. "Le proto n'a jamais été aussi intéressant qu'aujourd'hui. Il y a eu un véritable match qui redonne de l'intérêt pour ce support. C'est une bonne chose pour l'avenir. On peut penser que le proto va continuer à être dynamique" explique François Jambou, 2e de la première étape.

Résultat, seulement 26 minutes séparent le premier — Axel Tréhin — du troisième — Tanguy Bouroullec. Autant dire, une tête d'épingle à l'échelle d'un océan atlantique à traverser pour cette 2e étape.

Un départ pas facile pour tout le monde

22 septembre, départ reporté faute aux mauvaises conditions météo. Rendez-vous est pris le samedi 5 octobre, 10 h 38 pour 1 350 milles depuis La Rochelle, en direction de Las Palmas de Gran Canaria.

Un seul départ a suffi et la flotte a progressé à faible allure — 5 nœuds de vent — vers la bouée de dégagement. "En sortant du port, j'ai eu un gros problème d'aérien. Les valeurs étaient incohérentes. Je me suis fait une grosse frayeur et j'étais plus concentré à réparer qu'à prendre le départ. Résultat, je n'ai pas tout de suite vu la bouée de dégagement et je me suis enfermé dans la pétole dès le départ", se souvient François.

Un dégolfage "pas facile"

Avant de longer les côtes espagnoles, la flotte a dû gérer plusieurs transitions météo dans le golfe de Gascogne. Si Raphaël Lutard (900) sur Arkema 3 a mené quelque temps la flotte, il s'est rapidement fait dépasser par le trio Axel Tréhin (945), François Jambou (865) et Tanguy Bouroullec (969).

Sur la 3e journée de course, Axel Tréhin (945) fait un solide leader, mais François Jambou (895) s'accroche, tout comme Tanguy Bouroullec (969), qui attend des conditions plus propices à son foiler.

"Le dégolfage n'était pas évident, avec deux fronts successifs dans le Golfe de Gascogne. C'était une mise en jambe assez copieuse même si ce n'était pas la tempête. C'était quand même assez sport pour un début de course. J'ai eu des petits soucis dès le deuxième après-midi. J'ai cassé mon système de sortie du bout-dehors dans une manœuvre. Même si c'est un détail, c'était pénalisant pour les changements de voile d'avant pour la suite" nous confie Tanguy.

72 heures après le départ, Axel Tréhin conserve son leadership, François Jambou à moins de 5 milles de son tableau arrière, comme il nous l'explique.

"J'ai fait une belle sortie du Golfe de Gascogne. J'ai pris une direction tribord au près pour chercher le second front avec une dizaine de milles sur François et Tanguy. Mais j'y suis arrivé trop tôt par rapport aux modèles annoncés. J'ai dû alors composer entre le passage du front et le passage à l'intérieur ou à l'extérieur du DST. Je me suis retrouvé à devoir faire de nombreux empannages en plein vent arrière. Derrière ils avaient un meilleur angle et le long du DST, François Jambou est revenu, jusqu'à me passer devant. Moralement, on s'y attendait, c'était un schéma prévisible."

Une mer "casse bateau et un pacte de non-agression"

Le trio reste toujours aussi soudé au passage du Cap Finisterre. "C'était bien, j'étais dans le bon paquet. On partait avec du vent en direction des alizés portugais" explique Tanguy. Une configuration attendue également par Axel : "Derrière, on attendait un bord de conduite et de vitesse pure, mais on a eu nettement moins de vent que ce que l'on avait pu imaginer."

Pourtant, rien ne se passe comme prévu. "La mer était horrible, une mer "casse bateau. C'était dur pour le matériel et assez violent. Il fallait essayer de ne pas casser" détaille Tanguy. "La mer était dégueulasse, mais il n'y avait pas de vent" ajoute Axel.

Le skipper du Pogo Foiler navigue au contact de ses deux adversaires jusqu'à ce qu'il "fasse un gros vrac". Résultat des courses, un petit spi déchiré et un retard suffisant pour ne plus voir les deux leaders sur l'AIS.

François Jambou — en tête après avoir repris le leadership au Cap Finisterre — et Axel se livrent donc bataille pour rester devant. "Le vent n'était pas fort, mais je ne m'attendais pas à voir des vagues aussi courtes avec des pentes aussi raides. J'ai passé beaucoup de temps sous gennaker, ce qui rendait le bateau plus sain, avec moins de risque d'enfournement, plus de confort et de sécurité."

Mais la mer est tellement mauvaise qu'une trêve est vite décidée. "On a défini un pacte de non-agression" explique François.

"On a essayé de garder des vitesses pour rester devant sans casser les bateaux. À un moment, on s'est observé avec François à l'AIS. Personne ne voulait mollir. Mais continuer comme ça c'était prendre le risque de casser et d'arrêter là. J'ai d'ailleurs fait le plus gros planté de ma carrière Mini alors que je navigue sur ce support depuis un moment. Je m'en souviendrais. On s'est mis d'accord pour calmer le jeu dans la nuit et réattaquer le lendemain" détaille à son tour Axel.

De la glisse pure !

Finalement, les conditions s'apaisent au fur et à mesure que la flotte gagne du sud. "C'était un régal, avec des conditions pour lesquelles nos bateaux sont taillés, par un vent de 15 à 20 nœuds. C'était du pur bonheur, de la glisse pure" détaille Axel, en retard à ce moment-là de 10 milles sur François.

Tanguy lui accuse 40 milles de retard sur le leader de la flotte. Pendant 36 heures, il enregistre un bon déficit de vitesse et alors que les deux autres déboulent sous petit spi, lui ne l'a plus. "Une fois que les conditions se sont assagies, avec une mer plus rangée, j'ai relancé la machine et remis le paquet. J'ai passé les 4 derniers jours à fondre et réduire l'écart. Mon but c'était que la victoire ne soit pas pliée aux Canaries. Je me suis battu pour diminuer cet écart au maximum."

Axel relégué à 40 milles

Les premières informations sur l'arrivée d'un front froid dans le sud et d'un éventuel passage de molle commencent à arriver. Axel décide alors de prendre de l'ouest pour profiter en premier du nouveau vent, après la longue phase de calme.

Si ce choix d'aller dans l'ouest le fait tomber au classement, il sait aussi qu'il sera le premier à en bénéficier. "Au dernier classement, on m'a annoncé 40 milles de retards sur François, mais avec mon décalage dans l'ouest, je savais que c'était plutôt 10 ou 30 milles. Je me suis interdit les émotions à bord pour toujours y croire. Il ne faut pas tomber dans le négativisme, car on est seul face à nous même. Il ne faut jamais rien lâcher."

Et effectivement Axel "redémarre" le premier grâce "au vent qui forcissait sur mon côté du plan d'eau." Reste une inconnue, où sont ces deux concurrents ?

Une zone de molle à l'arrivée des Canaries

En arrivant à Madère, François décide de se décaler dans l'ouest pour attendre le vent de nord-est. Alors qu'il est à 20 milles des Canaries, il ne voit personne à l'AIS et pense la victoire acquise. "J'écoutais les classements et j'avais de l'avance."

Mais il ne va pas longtemps rester seul. "En arrivant à Gran Canaria, je vois François à l'AIS. Je n'étais plus très loin. Pour moi, il allait gagner et j'allais terminer à la seconde place. Mais finalement, tout a changé. On s'est retrouvé dans la pétole et Alex, qui était entre 30 et 40 milles de nous au matin est revenu sur nous. On s'est retrouvés tous les trois arrêtés à quelques milles de l'arrivée" explique Tanguy.

Alex revient fortement sur ses concurrents.

"Tout dépendait de la distance qu'il y avait entre nous. S'ils étaient plutôt proches, alors tout pouvait se jouer. S'ils étaient à 30 milles, ils auraient pu toucher le nouveau vent avant moi, et donc passer la ligne d'arrivée avant moi."

Finalement, il revient si fort, qu'il entend de nouveau ses deux concurrents à la VHF. "François était étonné que Tanguy soit si proche de lui et se demandait où j'étais. Je les ai laissés terminer leur conversation avant de leur dire "Je suis là moi aussi. Je n'avais pas encore leur position à l'AIS, mais ça m'a redonné du baume au cœur."

À quelques milles des Canaries, les trois concurrents sont englués dans une zone de molle. Chacun attend que le vent se lève pour passer la ligne en premier. "On est arrivé avec de belles conditions de nuit — une belle lune et un ciel dégagé — qui nous permettaient de garder un œil sur le plan d'eau pour lire les zones de molle et de vent" explique Axel.

Un final d'anthologie

Ce dernier — sur le signal AIS qu'il capte enfin — s'aperçoit de son positionnement ouest, pas forcément favorable pour revenir à la charge. Pourtant, il aperçoit le vent rentrer de son côté et décide de rester sur zone. Axel touche alors le nouveau vent avant ses deux prédécesseurs et trace à 7/8 nœuds alors que François et Tanguy n'avancent qu'à 0,3 nœud.

"Quand j'ai vu que j'avançais et pas eux, et qu'il n'y avait pas beaucoup d'écart, je me suis dit que finalement je pouvais aller chercher la 2e place et puis même la première. Concrètement, j'ai eu de la réussite, même si j'ai tiré les bons bords. Le fait d'avoir buté moins longtemps dans la molle m'a aussi permis de rester plus frais et lucide. Ça a joué".

C'est ainsi qu'Axel Tréhin passe la ligne en premier, glanant des milles sur François Jambou, arrivé 6 minutes derrière lui. "François a fait ce qu'il fallait faire, j'aurais agi comme lui. Il a tiré les bords qu'il fallait, il a bien navigué. Il m'a mis la pression jusqu'au bout. À la dernière marque, il était à 300 m de moi."

"C'était un enchainement de pas de bol. Axel a eu du vent et m'est passé devant et lorsque c'était mon tour, j'ai dû changer mes voiles, ce qui m'a pris du temps. C'est sûr que je suis déçu de ne pas avoir remporté la manche. Ils ont été bons et ont navigué proprement" explique à son tour François Jambou.

Tanguy Bouroullec — qui faisait plutôt office d'outsider sur cette Mini Transat — complète le podium. "C'était un peu un finish d'anthologie. Ce n'est pas passé pour moi, car je n'étais pas du bon côté pour le nouveau vent. Au total, j'ai 26 minutes de retard. Ce n'est pas grand-chose. On repart à égalité sur cette 2e étape."

S'il n'a rien cassé de majeur sur son nouveau foiler, il n'a pas vraiment pu voler. "On n'a pas fait beaucoup de reaching et c'est à cette allure que les foils sont le plus utiles. Sur le bord de reaching où j'aurai pu foiler, j'étais plutôt occupé à réparer. Mais, lorsque je suis revenu sur François, j'étais bien calé sur le foil. Le bateau va vite, même dans le médium, avec 10 nœuds. C'est ce qui m'a permis de revenir."

Prêts pour la 2e étape !

Il aura donc fallu 8 jours 17 h 58 min 28 s pour qu'Axel remporte l'étape. "Ça a été une grosse semaine. Il s'est passé beaucoup de choses. Les routages l'annonçaient plus rapide. On a eu un front froid qui a couché l'anticyclone et rouvert le jeu. Ce n'était pas la situation annoncée au départ. C'était une étape intéressante, car il y avait du jeu et de la stratégie à moyen et long terme" résume Axel.

S'il est parti en ayant conscience que l'on ne gagne pas la course sur la 1re étape, il était tout aussi conscient qu'on pouvait la perdre. "Dans l'absolu, en termes de classement, j'ai gagné, mais en termes de temps, 6 minutes avec François et 26 min avec Tanguy, c'est négligeable."

Avant de conclure "On est trois bateaux à égalité. Il va falloir faire le moins d'erreurs possible et se mobiliser au maximum. L'idée c'est d'arriver au Marin et de s'écrouler de fatigue sur le ponton. Je vais tout donner pour n'avoir aucun remords ni regret."

François Jambou est arrivé seulement 6 minutes derrière, en 8 j 18 h 4 min 50 s

"Je suis venu pour gagner et c'est encore possible. J'ai la niaque et je reste motivé. La victoire je peux l'avoir" conclu François. Avant d'ajouter : "En tout cas sur cette première étape je me suis senti bien en mer et j'ai pris du plaisir. Finalement, c'est une pression en moins de ne pas avoir gagné. Je reprends une position de chasseur et non de chassé. C'est mentalement plus facile" explique François.

"Sur cette première étape, au niveau de la météo, c'était très complet et compliqué, mais intéressant. Je suis d'attaque pour cette 2e étape ! On va y aller à fond et arriver en Martinique !" conclut Tanguy, arrivé 3e en 8 j 18 h 24 min 35 s.

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