Sir Ernest Shackleton s'embarque dès 16 ans. Rapidement le jeune anglais progresse dans la hiérarchie du bord pour devenir capitaine à 24 ans. Il participe (sans gloire) à une première expédition vers l'Antarctique en 1901 sur le Discovery. Puis tente de rejoindre le Pôle Sud à pied avec trois hommes en 1908, une expédition qui le rend célèbre et qui lui permettra de trouver le financement de la suivante.
En effet, frustré de ne pas avoir atteint le Pôle Sud, Shackleton a conçu, dès 1912, un nouveau projet d'exploration transantarctique à deux navires, placés au nord et au sud du continent afin de préparer des bases de vivres à l'équipe débarquée…
Aidé par sa forte et nouvelle notoriété, il réunit une somme considérable pour l'époque, lui permettant d'armer deux navires, l'Endurance et l'Aurora.
Un recrutement hétéroclite
L'annonce publiée stipulait : "Recherche hommes pour voyage périlleux. Bas salaire. Froid glacial. Longs mois de totale obscurité. Danger permanent. Retour non garanti. Honneur et reconnaissance en cas de succès."
5000 volontaires se sont présentés aux entretiens publics au cours desquels Sir Ernest s'intéressait bien plus aux caractères ou aux qualités humaines qu'aux compétences techniques. L'expédition comptait ainsi plusieurs bons chanteurs, musiciens, cuisiniers, dont la présence visait à limiter les effets sur le moral du long hiver austral…
Un départ sur le fil du rasoir
L'appareillage est prévu pour le début du mois d'août 1914 quand éclate la Première Guerre mondiale ! Le chef de l'expédition télégraphie alors à l'amirauté, pour prendre part à la guerre et offrir le bateau, les vivres et l'équipage à l'État major de l'amirauté, commandée par Winston Churchill. Ce dernier ne répondit qu'un mot "Proceed."
C'est ainsi que Shackleton et ses hommes d'équipage s'éloignèrent de l'Europe bientôt à feu et à sang pour se jeter droit sur un tout autre danger, les glaces polaires…
Prisonniers des glaces !
Le 10 décembre 1914, l'Endurance arrive au contact des falaises de glaces de la Terre de Coats, dans la mer de Wedell. L'hiver est très froid et le 19 janvier 1915, l'Endurance se retrouve bloqué par les glaces.
De semaine en semaine, l'Endurance et son équipage dérivent avec la banquise, s'éloignant du continent…
Durant l'été 1915, après 281 jours dans les glaces, le bateau est brisé par la banquise et l'équipage finit par l'abandonner en octobre conservant juste les chiens et 3 chaloupes. Il fait déjà -25 degrés.
La banquise se disloque !
L'équipage de l'Endurance commence alors un long périple à pied, sur la banquise, en direction de la terre ferme, mais la tâche est titanesque, car la dérive de la banquise les éloigne vers le large. Sir Ernest décide d'attendre la débâcle pour mettre les chaloupes à l'eau.
Début avril 1916, le redoux arrive disloquant la glace sous leurs pieds sans toutefois laisser suffisamment de passage libre pour les chaloupes. Le 9 avril 1916, l'îlot sur lequel ils ont campé 15 mois se disloque :
"À 11 h du matin, une fente soudaine parcourut notre plaque. D'un côté du chenal qui s'ouvrait, je voyais la place où pendant tant de mois ma tête et mes épaules avaient reposé, et de l'autre côté (celui où nous étions), la dépression formée par mes jambes […]. Combien fragile et précaire avait été notre lieu de repos !"
Trois chaloupes sur l'océan Austral
Ce même jour, les trois chaloupes, non pontées, d'une longueur de 7m chacune, prennent la mer en convoi. La température extérieure ne dépasse jamais les -20 degrés au plus chaud, les hommes naviguent sans manger avec peu d'eau.
"Notre soif devenait terrible. Nous trouvâmes un soulagement momentané à mâcher de petits morceaux de phoque dont nous avalions le sang ; mais notre soif redoubla ensuite sous l'effet de la salaison".
Les conditions de navigations sont dantesques, d'autant que les vêtements, en laine et coton, ne protègent que peu…
A l'abri sur l'Ile de l'Eléphant
Après 4 jours de navigation, ils débarquent épuisés sur l'Île de l'Éléphant, à l'extrême nord de la péninsule Antarctique. Ils sont désormais à l'abri de la dérive glaciaire, mais très loin des routes maritimes, rendant infime tout espoir de secours.
Très vite Shackleton réalise qu'il lui faudra aller chercher les secours en Géorgie du Sud, à près de 800 Nm de là. Il conçoit une expédition légère, sur une chaloupe légèrement modifiée par le charpentier avec l'ajout d'un pont et d'un gréement de fortune, la rehausse des bordés, l'ajout d'une tonne de lest en graviers et la reprise du calfatage au sang de phoque (!). Il s'agit du début de l'une des plus incroyables traversées de l'histoire de la navigation.