Quand Napoléon Ier décide d'aller à Anvers…
Début 1810, Napoléon Ier décide d'aller visiter l'arsenal maritime d'Anvers, alors port français. C'est lui qui en a ordonné la construction quelques années auparavant. Il lui faut donc un bateau digne d'un empereur pour se déplacer. En 21 jours seulement, ce canot, de 18,80 mètres de long et 5,45 mètres de haut, est construit. Fait de diverses essences de bois, il comprend un spacieux rouf pour les personnalités… le reste de l'embarcation étant réservé aux rameurs ! C'est l'ingénieur Guillemard qui a fourni les plans du Canot, et le maître Théau, originaire de Granville, qui en a supervisé la construction. Son ornementation a été confiée au sculpteur anversois Van Petersen : à l'origine, le décor est assez sommaire. Il est ensuite agrémenté d'un aigle à la proue.
Parade à bord !
Le 30 avril 1810, Napoléon et la jeune impératrice Marie-Louise embarquent… Les jours suivants, ils naviguent à son bord dans l'arsenal : l'empereur inspecte ainsi sa flotte. Et ce, suivi par un admiratif cortège naval. En 1814, il ne règne plus… Son canot est alors rapatrié au port militaire de Brest. Mais, en 1858, Napoléon III, en prévision de sa venue avec l'Impératrice Eugénie dans ce même port, fait embellir le canot de son aïeul : ajout d'une figure de proue représentant Neptune, d'une grande couronne soutenue par quatre angelots, et décoration des rames avec des motifs peints. En août de cette même année, un second couple impérial prend ainsi place à bord du canot !
Tombé dans l'oubli… ou presque !
Quand l'Empire tombe définitivement, le canot est stocké et oublié à Brest… Pas tout à fait, en fait ! Car, en 1896, le président de la République Félix Fauret l'utilise. En 1902, c'est au tour du président Emile Loubet. Et, en 1922, le 18 novembre, il participe au "Triomphe" de l'Ecole navale : cette institution implantée à Brest vient de se voir remettre la Légion d'honneur, et entend dignement célébrer l'évènement. Se déroule alors un prestigieux défilé de marins en costumes d'époque et de navires historiques… dont le canot impérial !
Une nouvelle vie
Ce n'est qu'en 1943, que le canot refait vraiment surface… sur terre ! Les Allemands comptent ouvrir un tout nouveau musée de la Marine au Palais de Chaillot, au cœur de la capitale. Et ils ont jeté leur dévolu sur le Canot Impérial, pour en être le fleuron. C'est cette décision qui le sauva sans doute de la destruction par les bombardements qui allaient avoir lieu.
Sous la protection des autorités allemandes, le canot entame, le 9 mai 1943, son voyage de Brest à Paris : il est d'abord tiré par un chaland. Ensuite, chargé sur un wagon, huit jours durant, il parcourt le pays sur des voies laissées libres pour lui ! C'est enfin l'arrivée à la gare Montparnasse, où un camion l'attend pour le conduire jusqu'au Palais de Chaillot.
La lumière, enfin
Si le canot est arrivé à bon port, il n'y est pas encore rentré ! Les portes sont tout simplement trop petites pour lui… Ce n'est que deux ans plus tard que l'on se décide à pratiquer une brèche dans le mur de la galerie du musée où il est attendu.
Nous sommes en août 1945, lorsque, tout doucement, le Canot impérial quitte les jardins où il était entreposé pour pénétrer dans le musée. Le voici enfin visible du grand public !
En prendre soin…
Presque 50 ans plus tard, le Canot connaît sa première restauration d'ampleur. Entre 2001 et 2003, les charpentiers de l'atelier militaire de Cherbourg et des restaurateurs de sculptures et ornements s'activent autour de lui. Il est aussi déplacé à l'intérieur du musée, un tout petit trajet par rapport à ce qui l'attend…
2018 : un grand retour… à préparer !
Depuis 2017, le Musée de la Marine de Paris est fermé au public : il a fermé ses portes pour gros travaux et ne rouvrira qu'en 2021. Le canot doit quitter les lieux. Brest s'impose comme destination. Il est pressenti pour accueillir le public dans une institution à naître… Pour l'heure, c'est son transport qui occupe les équipes du musée. D'abord, le désarmer : ses 22 avirons sont stockés à part et ses éléments décoratifs amovibles également. Ne reste alors que la coque que l'on recouvre d'une caisse rigide de métal, de bois et de plastique.
Une sortie au cordeau
Les dimensions des portes du musée n'ayant pas changé entre 1943 et 2018… à problème identique, même solution ! C'est donc par un grand trou dans le mur extérieur, que le canot est sorti du musée.
Prêt au décollage
Une fois stabilisé sur une plateforme extérieure, le canot est soulevé par un expert grutier : 17,8 tonnes à manœuvrer entre les arbres et au-dessus d'un muret et du trottoir… ne doit pas être si aisé. La boîte finit par s'envoler... comme par magie ! Et se poser très exactement sur la remorque extensible d'un semi-remorque garé là. Tout est bien fixé et le départ est donné à la nuit tombée. Tous feux et gyrophares allumés, le convoi exceptionnel s'éloigne. Il lui faut 48 heures pour rallier Brest.
Bienvenu à Brest !
C'est aux Ateliers des Capucins que le canot est déposé. Ce sont des bâtiments de l'ancien arsenal militaire du 19e siècle, aujourd'hui reconvertis en centre culturel et commercial. Le lendemain, le canot retrouve l'air libre. Mais juste le temps pour l'équipe qui l'accueille de faire un bilan de son état après son périple. Avant de le renfermer ensuite dans son écrin de voyage lui permettra de s'acclimater, peu à peu, à son nouvel environnement climatique et hygrométrique. Après 75 ans, le canot retrouve l'air iodé de Brest… Si c'est avec difficulté, il aura droit à une cure restauratrice !
Bientôt à nouveau visible au public
Fin 2019, retour à la lumière. Le Canot impérial sera alors installé sur la place des Machines de l'ancien arsenal, et ainsi visible de tous les passants. Il fera face à l'entrée du futur Pôle des Excellences Maritimes (Ce nom n'est pas encore définitif), un vaste espace destiné à valoriser les savoir-faire maritimes brestois. Le canot en sera le témoignage historique : il est le seul canot de ce type conservé en France.
Rendez-vous donc, fin 2019, à Brest pour, admirer, à nouveau, ce canot impérial. Mais dans une scénographie moderne ! Des miroirs reflétant la coque livreront tous ses détails et des dispositifs muséographiques dynamiques raconteront les origines et l'histoire insolite de ce bateau.