Jean-Pierre Fréry a annoncé au Nautic de Paris en décembre 2017 vouloir s'engager sur un tour du monde sans escale par les trois caps à la barre d'un Lagoon 400S2. Quand nous avons présenté ce projet hors norme (voir notre article ici), vous avez été nombreux à réagir.
Les principales questions concernaient le choix du bateau, un catamaran de croisière, mais aussi sa taille (40 pieds). Nous avons questionné Jean-Pierre pour qu'il donne des réponses à ces interrogations.
Cavok est un Lagoon 400 S2, pourquoi avoir choisi ce chantier ?
Depuis maintenant 25 ans que je suis concessionnaire Lagoon, je connais bien cette famille de catamaran. Choisir une autre marque n'aurait ressemblé à rien d'autant que je suis sûr que ce sont de bons bateaux. J'ai confiance en eux et partir naviguer dans les mers du sud sur un Lagoon ne me fait pas peur.
Pourquoi pas un plus gros catamaran ?
Le chantier Lagoon m'a proposé de réaliser ce tour du monde sur un 500, mais j'ai refusé. Je voulais un 400. Sur un 40 pieds, tout est simple à gérer par un homme seul. Sur un catamaran plus grand, les efforts sont physiquement plus compliqués.
Je ne voulais pas non plus de catamaran à fly, car cela implique obligatoirement une barre hydraulique (ou électrique). Or la réactivité de barre n'est pas la même qu'avec un système de drosse comme sur le 400. Nous allons naviguer dans des mers fortes souvent de l'arrière et il faut que le barreur puisse intervenir rapidement et efficacement sur les safrans pour ne pas mettre le bateau en danger. Avec un système hydraulique, nous aurions toujours eu un temps de retard.
Pourquoi ne pas avoir choisi un nouveau modèle avec son gréement reculé ?
Les nouveaux gréements reculés apparus sur la nouvelle gamme Lagoon sont super pour naviguer en croisière. Mais moins bien quand il s'agit de faire du portant très débridé. En effet, il est difficile d'ouvrir assez la grand-voile.
Avec une GV qui reste trop bordée, le risque du départ au lof est plus grand, surtout quand on navigue sous pilote. Sur un Lagoon 400, je peux choquer plus. Mais en absence de pataras et de hale-bas de bôme, j'ai aussi prévu un système de retenu de bôme, un palan 6 brins, qui vient aplatir la voile en la tirant vers le bas pour lui donner moins de puissance. Cela soulage aussi le barreur ou le pilote.
Redoutez-vous de chavirer ou de démâter ?
Vu le volume des coques et leur surface mouillée aux extrémités, je ne crains pas de sancir. Chavirer non plus à moins de faire une grosse erreur en plaçant mal le bateau dans la mer. En plus, nous ne sommes pas en course. Nous ne cherchons pas la performance à tout prix. Nous ne nous interdisons pas de prendre la cap courante par exemple, ou même dans certaines situations vraiment délicates de faire face aux vagues en nous aidant des moteurs.
Quant au démâtage, je n'y crois pas sur un Lagoon 400. C'est aussi pour cela que j'ai choisi ce modèle. Le mât est tenu par 2 étages de barres de flèche et 2 guignols. Autoporté, il est vraiment rigide. Les galhaubans sont aussi très bien dimensionnés.
Si le gréement est standard, nous remplaçons pour la sécurité, les goupilles par des axes boulonnés et goupillés. Avec ça le gréement me semble indestructible.
Que redoutez-vous le plus qui risque de faire échouer ce tour du monde ?
Un projet comme celui-là est fait de 10 000 petits détails. Il en suffit d'un qui lâche et tout s'arrête. Le bon – ou plutôt le mauvais ! – exemple d'actualité est Spindrift. Ce trimaran préparé pendant 2 ans démâte avant même d'avoir pu franchir la ligne… Sans doute une petite bêtise de préparation, une goupille pas vérifiée. Voilà ce que je redoute.
C'est pour cela aussi que je veux parcourir au moins 5000 milles pour les essais avant le départ afin de valider le plus de choses.
Et la grosse mer, comment allez-vous gérer ?
Nous risquons de rencontrer des mers fortes, principalement venant de l'arrière. Pour cela nous avons préparé le bateau en faisant principalement 2 choses : renforcé les taquets arrière et sécurisé la porte du carré.
Par forte mer, j'utilise des trainards pour ralentir le bateau. Il s'agit de le laisser surfer sur la vague, mais en le ralentissant pour pas qu'il aille buter dans la vague de devant. Je place un gros cordage, j'ai 100 m en 22 mm, entre les deux taquets arrière. Je règle ensuite la vitesse du bateau en augmentant ou diminuant la taille de cette grande boucle. Et pour remonter le trainard à bord, je largue un bout et le remonte par l'autre, sans forcer (ou presque).
J'ai déjà pu valider cette technique en Méditerranée. Il y avait 60 N au large de l'Algérie et nous jouions aux cartes dans le carré tandis que le catamaran naviguait avec ses trainards ! J'estime que les trainards sont moins vicieux que les ancres flottantes. La fixation des deux taquets d'amarrage arrière a été renforcée avec de grosses contre-plaques.
Pour éviter de voir les vagues déferlant dans le cockpit inonder le carré, je ne voulais pas un catamaran avec une grande baie vitrée ouverte sur l'arrière. Le Lagoon 400 a une "petite" porte coulissante de 80 cm de large. J'installe en plus devant une protection avec 3 panneaux de plexi de 12 mm qui viennent se coincer dans des rails en aluminium. Un peu comme les portes de descente sur un monocoque. Suivant la mer, nous pourrons en laisser un ou deux à poste et passer par dessus facilement. La porte coulissante pourra rester ouverte sans risque.
Vous partez à 3, pourquoi ce chiffre ?
Pour naviguer, 3 personnes me semble le bon nombre. Cela permet de faire des quarts courts de 2 h alors que celui qui se repose peut rester 4h dans sa couchette. En plus nous avons 4 cabines. Chacun la sienne et une dernière pour stocker la nourriture.
Il ne faut pas oublier que si les solitaires d'un Vendée Globe embarquent 80 jours de nourriture, nous nous allons devoir en stocker 450 ! Nous sommes 3 et nous partons 150 jours… Cela va remplir le volume d'une cabine avant.
Comment allez-vous charger le bateau ?
Nous ne stockons rien dans les pics avant pour ne pas alourdir les étraves. De même les réservoirs d'eau de 600 l ne seront remplis que de 100 litres. Pour le reste nous avons un dessalinisateur. Côté matériel de rechange, nous n'emportons presque rien. 2 bobines de 100 m de cordage de 12 mm pour remplacer les drisses et les écoutes, une caisse à outils et c'est tout.
Comment avez-vous prévu de gérer l'énergie ?
Si notre Lagoon 400 S2 est de série, concernant le circuit électrique, nous l'avons revu entièrement. Nous avons prévu des panneaux solaires de 1000 W et 2 éoliennes. Cela devrait nous offrir notre autonomie électrique par tous les temps.
Nos besoins électriques sont faibles. Les plus gros postes sont le dessal, le Fleet 250 pour envoyer des vidéos et du chauffage dans les mers du sud. Sinon, nous allons faire assez peu de pilote automatique et nous ne mettons pas le frigo en route. En effet, avec ses 110 litres, pas question de gérer 5 mois de frais ! Mais nous ne nous interdisons pas pêcher…
Votre programme de préparatifs se déroule-t-il comme prévu ?
Comme prévu, le bateau a été livré par Lagoon. Il est actuellement à Saint-Gilles-Croix-de-Vie pour les derniers préparatifs au sec, puis il partira vers La Rochelle avant de réaliser un premier parcours au large direction La Grande Motte (départ le de La Rochelle le 5 mars 2018). Le bateau sera ensuite présent au Salon du Multicoque en avril 2018. Une première occasion pour les plaisanciers de le découvrir.