Vous faites partie des premiers architectes de catamaran de croisière en France. Pouvez-vous nous rappeler le contexte de l'émergence du multicoque dans la plaisance française ?
Dans les années 1980, il n'y avait pas de catamaran de croisière construit en France. On pouvait voir des bateaux construits au Royaume-Uni comme les Snowgoose, les Quest, les Catalac, les Iroquois ou les Comanche de SailCraft. Il y avait aussi le Catfisher, une sorte de trawler sur deux coques, plus proche d'un fifty que d'un voilier performant. Moins connu en France, les australiens comme Lock Crowther développaient également quelques modèles de catamarans pour la croisière.
C'est à cette période que je suis arrivé chez Philippe Harlé, avec dans mes cartons un avant-projet de catamaran. Mais le but, contrairement aux modèles anglais, était de profiter des catamarans pour faire des voiliers performants. Au départ, il n'était pas très partant. Il semble que Marc Lombard, qui était passé avant moi avait déjà essayé de le convaincre, sans succès. J'ai finalement réussi à le décider. Ainsi est né le Punch 8.50, un catamaran en contreplaqué qui permettait facilement d'atteindre 15 nœuds dans une configuration ballade – camping. En parallèle, on a développé avec la Bénédictine des petits catamarans de sport pas trop cher, les Jet 27 et Jet 31, des noms en phase avec le lien de Philippe Harlé avec le milieu des spiritueux !
C'est dans ces années-là que Fountaine lance le Louisiane, un catamaran, lui aussi dédié à de la croisière rapide. A son arrivée en France, le catamaran est clairement orienté vers la performance.
Quelles évolutions avez-vous constaté par la suite dans l'architecture des multicoques dans les années 1990/2000 ?
L'évolution vers des bateaux plus habitables pour la croisière a amené à aménager les plateformes. Cela a évidemment entraîné une prise de poids. Et cet embonpoint a été au détriment des capacités marines des catamarans de croisière. Il a fallu augmenter le volume des flotteurs, pour arriver à des carènes en "balle de ping-pong". Plates sur le dessous, elles sont plus habitables mais le passage dans la mer est nettement moins bon. De notre côté, lorsque nous avons dessiné les Punch 1000 et les premiers Nautitech, nous avons essayé de limiter la course à l'équipement pour garder des bateaux légers et des flotteurs suffisamment étroits, préservant ainsi l'équipage de la fatigue.
Avec la défiscalisation et la location, les catamarans sont vite devenus synonymes de cocotiers et de mer chaude. Dans les alizés, même avec un peu de poids, on marche quand même. L'important est devenu de profiter de l'espace. C'est ainsi qu'avec les premiers Nautitech, on a pu travailler sur l'aménagement de plein pied. C'est une des autres avancées du catamaran, qui permet de vivre sur un seul pont, de manière plus confortable.
Et aujourd'hui quels changements voyez-vous dans le marché du multicoque ?
Depuis les années 1990, on n'a pas cessé de grossir, ce qui a créé un vide dans le domaine des bateaux dédiés à la performance. Ce qui a fait grossir les catamarans, ce sont les vacances et non le voyage. En effet, des voiliers comme les Outremer, qui étaient dédiés au voyage, sont restés plutôt performants. On voit aujourd'hui avec l'arrivée de nouveaux bateaux haut de gamme, très légers comme les Banuls ou Alibi présents sur le salon, qu'il y a un renouveau du catamaran rapide. Avec l'évolution du mode de vie, les gens qui ont de l'argent n'ont pas le temps d'un grand voyage, mais ils cherchent les sensations. Les nouvelles technologies de conception et de mise en œuvre des matériaux font émerger de nouveaux bateaux pour répondre à cette demande.
De votre côté, quels sont vos projets et vos envies de multicoque ?
En terme de projet, je travaille avec le chantier Alubat à l'OvniCat 48, un catamaran de voyage en aluminium. C'est un matériau intéressant pour le voyage et l'on peut rester dans des poids comparables aux bateaux en résine.
Pour les envies, j'en ai évidemment, qui se réaliseront ou non. J'aimerai avoir l'occasion de dessiner un bateau original qui sorte un peu de ce que l'on voit sur ce salon...