Idec Sport, le trimaran indétrônable sur le Jules Verne et la Route du Rhum


En 2015, Francis Joyon récupère Idec Sport, ancien Groupama 3 et Banque Populaire VII, détenteur du Trophée Jules Verne en 2010 puis de la Route du Rhum en 2010 et en 2014. A son bord, il réalise de nouveaux records, le Trophée Jules Verne en 2017, dont il est toujours le détenteur. L'année suivante, il l'emporte sur la Route du Rhum 2018 avec seulement 7 minutes et 8 secondes d'avance sur François Gabart, le faisant entrer dans la légende. Cet article fait partie d'un reportage sur l'un des trimarans les plus titrés de l'histoire.

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Mettre en chantier le multicoque pour le Trophée Jules Verne

Après un été 2015 rempli de record sous le nom de Lending Club 2, Francis Joyon a récupéré son trimaran Idec Sport. Arrivé à Vannes début septembre 2015, le bateau est entré en chantier chez Multiplast. Même si la passation officielle avait lieu le 15 septembre, Ryan Breymaier (le skipper de Lending Club 2) et Francis Joyon ont pris un peu d'avance.

Arrivé à Vannes, le matériel et les voiles ont été démontés et les tickets Lending Club enlevés. Les petits travaux qui font suite à l'utilisation du bateau pour la campagne de records ont été pris en charge par Lending Club. Francis Joyon, a de son côté, recensé les améliorations à réaliser en vue du Trophée Jules Verne. "Le trimaran a été remis en configuration pour un tour du monde et les mers hostiles du Grand Sud.

Des systèmes de protection, pour le barreur et l'équipier qui est aux winchs à surveiller les écoutes, ont été installés. "Je trouve que ces postes sont trop exposés pour les mers du Grand Sud où ça mouille beaucoup. Il faut mieux les protéger pour les quarts dans ces mers-là, prévoir des aménagements pour s'accrocher et ne pas être balayé par les vagues" explique Francis Joyon.

Crédit : JM Liot/DPPI/IDEC

Un dessalinisateur ainsi qu'un système pour sécher les bottes et les cirés ont été installés, afin de pouvoir emmener moins d'équipements et gagner du poids. Le petit mât a été adapté et deux voiles neuves installées.

Après trois semaines de chantier express chez Multiplast (c'est dans ce même chantier que le trimaran Groupama 3 avait été construit), Idec-Sport – tout habillé de rouge -  a été mis à l'eau le 2 octobre 2015. Mis aux couleurs d'Idec Sport, le bateau a subi un gros travail de remise en état, ayant accumulé 25 000 milles sous le nom de Lending Club 2.

En plus des travaux cités plus haut, des améliorations ont été apportées comme un arbre d'hélice démontable ou un vrai poste de navigation à l'intérieur. Après l'installation de la dérive centrale et des safrans, le bateau a rejoint Lorient, pour y être mâté.

Le mot de l'architecte

"Spindrift 2 et IDEC SPORT vont tous deux entrer en stand-by pour le Trophée Jules Verne l'automne prochain. La lutte entre les deux équipages sera passionnante à suivre. Il y aura d'un côté un bateau surpuissant et de l'autre une "mobylette" menée par un équipage réduit. L'hypothèse d'une victoire d'IDEC SPORT est tout à fait envisageable. Léger et maniable avec son petit gréement, ce bateau est à l'aise dans les zones de transition. Il pourra tirer son épingle du jeu dans la descente et la remontée de l'Atlantique. IDEC SPORT sera en revanche handicapé en dessous de 10 nœuds, mais ce sont des conditions marginales à l'échelle d'un Trophée Jules Verne. Dans les mers du Sud, si les deux bateaux rencontrent les mêmes conditions, les écarts seront minimes. IDEC SPORT est un bateau safe sur lequel on peut tirer en toute sérénité. Ceci dit, Spindrift 2 a été très optimisé et sera donc un concurrent redoutable.

Crédit : JM Liot / DPPI / IDEC Sport

Sur le papier, il sera plus rapide qu'à l'époque où il portait les couleurs de Banque Populaire V. Battre les 45 jours de BP V est jouable pour IDEC SPORT et Spindrift 2. La barre est haute, à un niveau où la météo devient prépondérante. Au départ d'un Trophée Jules Verne, on a une vision assez claire sur la situation météo jusqu'au passage du cap de Bonne Espérance et l'entrée dans les mers du Sud. Après, c'est l'inconnue. Le record se joue souvent lors de la remontée de l'Atlantique, il y a donc une part de chance" explique Xavier Guilbaud, architecte au cabinet VPLP.

Le trimaran Idec Sport en 10 points essentiels

1 – Les voiles : En totalité, le trimaran compte 5 voiles La Grand-Voile, un gennaker qui sert au vent portant et trois voiles plates de différentes tailles sur l'avant appelé J1 J2 et J3. Les voiles d'avant sont montées sur emmagasineurs, c'est-à-dire qu'une galette permet de les rouler sur elles-mêmes autour de leurs étais. Sage précaution avec un équipage réduit, car plus aisé qu'avec des voiles sur drisses qu'il faudrait affaler et/ou renvoyer à chaque changement.

2 – Les foils : Sur chaque flotteur latéral, à bâbord et à tribord, on trouve un foil ou "aile d'eau." Cette surface profilée dont on peut régler la profondeur d'immersion fournit une portance dynamique. En clair, elle permet à certaines allures de soulager le bateau, de le "soulever." Ceest la grande révolution des bateaux à voile de ces dernières années. Les gains en performance sont énormes par rapport à un bateau sans ces appendices porteurs.

3 – La dérive centrale : Les multicoques n'ont pas de quille. Donc pour éviter de "déraper" sur l'eau et d'avancer en crabe, IDEC SPORT - comme tous les grands multicoques - est doté d'une longue dérive centrale qui assure ce que les architectes appellent le plan anti-dérive.

4 – Le mât : IDEC SPORT est configuré avec son "petit" mât… qui fait tout de même ses 33,50 mètres de haut. Le grand faisait 6 mètres de plus, mais il fallait prendre un ris (réduire la grand-voile) dès 20 nœuds de vent. Triple avantage selon Francis Joyon : performances égales voire supérieures, GV haute, moins de risque de casse, et surtout deux tonnes d'économisées par rapport au grand.

5 – Les colonnes de winch : Dites aussi "moulin à café", elles permettent de démultiplier l'effort (plusieurs vitesses) et donc de faire tourner plus facilement les winchs qui servent à border ou choquer drisses et écoutes. En outre on peut les utiliser à deux équipiers, face à face, pour unir les efforts. Le système est évidemment débrayable. Il y a une colonne de chaque côté du bateau.

Crédit : Mer & Media / JB Epron / IDEC

6 – Les winchs zone manœuvres bâbord et zone manœuvres tribord : De chaque côté de la casquette de roof, on trouve deux énormes winchs. Ils sont actionnés la plupart du temps par les colonnes dites "moulins à café" car d'énormes forces s'exercent sur eux (souvent plusieurs tonnes de traction). Juste devant eux on trouve les pianos ou reviennent les boutes (les cordages) qui servent à tout faire : hisser ou affaler les voiles, prendre des ris, monter, descendre ou régler les appendices, etc. À noter que ces quatre gros winchs peuvent être actionnés également par une simple manivelle pour les rares cas où la tension est plus faible. Il y a un cinquième winch au centre du cockpit.

7 – La casquette de roof : marin, elle protège des embruns, permet à l'homme en stand-by de se reposer et évite à l'eau de descendre à l'intérieur de la coque centrale du bateau où se trouve la cellule de vie minimaliste du maxi trimaran IDEC SPORT.

8 – Les safrans : commandés par les barres à roue, ces trois appendices sont les"pelles" qui permettent de diriger IDEC SPORT. Il y en a un grand central, mais aussi un sur chaque flotteur latéral. Cela évite que le bateau ne décroche lorsqu'il commence à s'élever sur ses foils et on gagne en efficacité quand un flotteur est en contact direct avec l'eau.

9 – La barre tribord : Sur les précédents trimarans IDEC, il n'y avait qu'une seule barre à roue, au centre. Sur celui-ci, plus large, il y en a une de chaque côté. À droite du bateau, la barre tribord est le "volant" qui sert à diriger le trimaran quand il navigue tribord amures, soit quand le vent vient de la droite du bateau.

10 – La barre bâbord : À gauche du bateau, la barre bâbord est celle qui sert à diriger le trimaran quand il navigue bâbord amures. C'est-à-dire quand le vent vient de la gauche du bateau. Le barreur fait ainsi face à la voile.

La victoire sur le Trophée Jules Verne

Le 16 décembre 2016, Francis Joyon s'élance sur le Trophée Jules Verne avec équipage de 5 marins : Clément Surtel, Gwénolé Gahinet, Bernard Stamm, Sébastien Audigane et Alex Pella. Plus lents au départ, ils grapillent des milles tout au long du parcours, passant certains grands caps avec plusieurs jours d'avance. Le dernier tour du monde en équipage réduit remonte au record de Bruno Peyron en 1993. Le jeudi 26 janvier 2017 à 8 h 49 min après 40 jours, 23 heures, 30 minutes et 30 secondes, Francis Joyon et toute son équipe remporte cette belle victoire. Bien que plusieurs fois tenté par d'autres équipages depuis 2017, ce record lui appartient toujours.

La victoire sur la Route du Rhum

Une légence est née... Alors que François Gabart sur Macif est l'un des grands favoris de cette Route du Rhum 2018, c'est Francis Joyon qui entre dans la légende. Les deux marins sont au coude à coude tout au long de la traversée de l'Altantique, François Gabart en tête à l'arrivée. Mais c'est un finish haletant de 6 h autour de la Guadeloupe qui va rebattre les cartes. Francis Joyon remporte cette 11e édition de la Route du Rhum avec un temps de course de 7 jours 14 heures 21 minutes et 47 secondes pour boucler le parcours de 3542 milles à la vitesse moyenne de 19,42 nœuds. Il inscrit par la même un nouveau temps de référence en améliorant le temps de course de l'édition 2014 (remportée par Loïck Peyron) de 46 minutes 45 secondes. Agé de 62 ans, il entre enfin dans l'histoire de la course alors que c'est sa 7e participation.

Un écart incroyable — le plus faible de l'histoire la course depuis les 98 secondes de la première édition — qui fait entrer ce 40e anniversaire de la course dans la légende ! Un remake du duel Birch/Malinovski en 1978 !

Les autres records...

Après la Route du Rhum, Francis Joyon continue de battre des records, dont une campagne en Asie en 2019. Il revient sur cette édition de la Route du Rhum 2022, parce qu'il aime l'aventure et que peut-être la météo, lui fera une belle surprise...

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