Un fleuron de la technologie maritime
Conçu en 1869 par le chantier naval Scott et Linton de Dumbarton, en Écosse, selon les plans de l'architecte Hercules Linton, le Cutty Sark a été commissionné par l'armateur londonien John Willis de la Jock Willis Shipping Line. Ses dimensions atteignent 85 mètres, sa jauge est de 963 tonneaux, et il est équipé de 32 voiles couvrant une surface totale de 3 000 m².
Le nom "Cutty Sark" trouve son origine dans la figure de proue du navire, inspirée de la sorcière Nannie Dee décrite dans le poème "Tam o' Shanter" de Robert Burns. Cette représentation de proue dépeint une femme portant une chemise trop courte, ce qui lui vaut le surnom de "cutty-sark" en écossais, signifiant littéralement "petite chemise coupée". En 2021, une nouvelle sculpture de proue, incarnant Nannie, a été érigée sur le Cutty Sark. Façonnée par l'artisan Andy Peters, cette représentation trouve son inspiration dans le design initial de Linton.
Le Cutty Sark est mis à l'eau le 23 novembre 1869 sous le commandement du capitaine George Moodi. Sa capacité de transport est de 600 tonnes de thé, soit environ 10 000 caisses.
Le Cutty Sark appartient à l'avant-dernière génération de voiliers marchands précédant l'apogée des grands cap-horniers en acier. Sa coque est revêtue d'un alliage de cuivre, composé à 70 % de cuivre et à 30 % de zinc. De sa conception novatrice, combinant des bordés en bois avec une structure en fer, en a résulté un navire extrêmement robuste et rigide, offrant davantage d'espace pour le chargement. À l'origine, la coque était revêtue de métal Muntz, un composite développé à Birmingham.
C'est l'un des derniers clippers à voir le jour, survivant à l'essor des bateaux à vapeur. À une époque où ces navires imposants étaient dédiés au transport de marchandises à travers le monde, Cutty Sark se distingue en tant que dernier modèle encore préservé, faisant de lui un témoin historique capital pour l'histoire du Royaume-Uni.
La course au thé
Les clippers, tels que le Cutty Sark, se distinguaient par leur exceptionnelle vitesse et manœuvrabilité, atteignant fréquemment des moyennes de plus de 9 nœuds. Érigé à une époque où les clippers du thé représentaient l'apogée de la technologie maritime, le Cutty Sark s'illustra dans des compétitions acharnées, telles que la célèbre "Tea race" de 1866.
Engagé dans cette course effrénée du thé, le Cutty Sark participa à un duel mémorable en 1872, rivalisant avec son concurrent le Thermopylae. Bien qu'arrivant une semaine après son rival, le Cutty Sark marqua l'histoire maritime par sa rapidité exceptionnelle.
Déclin et renouveau
L'achèvement du canal de Suez coïncida avec le lancement du Cutty Sark, marquant une période cruciale dans l'histoire de la navigation maritime. Cette coïncidence introduisit un itinéraire plus court vers la Chine. Les clippers, confrontés à des conditions météorologiques difficiles et à des péages onéreux, perdirent leur position dominante dans le commerce maritime. En 1877, seulement neuf d'entre eux osaient entreprendre le voyage vers la Chine, contre soixante en 1870. Après huit voyages, le Cutty Sark fut contraint d'abandonner le commerce du thé face à l'avènement des navires à vapeur. Néanmoins, il trouva une nouvelle vocation dans le transport de laine en provenance d'Australie et de Nouvelle-Zélande, établissant un record de traversée en 67 jours jusqu'à Londres.
Le trajet de retour depuis l'Australie obligea le Cutty Sark à contourner le redoutable Cap Horn, où des icebergs, une mer tumultueuse, les 40èmes rugissants représentaient des défis redoutables. Le capitaine Woodget a photographié ces icebergs et a assuré la place du navire parmi les plus rapides à flot. Le Cutty Sark est crédité d'un record de 360 milles marins parcourus en 24 heures, à une moyenne de 15 nœuds, dans sa catégorie.
En 1895, John Willis céda le Cutty Sark à une entreprise portugaise, qui le renomma Ferreira. Pendant les 27 années qui suivirent, le navire servit de transporteur pour des marchandises générales, effectuant des traversées de l'Atlantique entre le Portugal, la côte ouest de l'Afrique et le continent américain.
Après son utilisation par les Portugais, le Cutty Sark fut racheté en 1922 par le capitaine Wilfred Dowman qui entreprit une restauration ambitieuse pour ramener le navire à son allure d'origine. Devenant ainsi le premier navire historique accessible au public depuis le Golden Hind au XVIe siècle, le Cutty Sark accueillit de nombreux visiteurs.
Transformé en navire-école pour cadets, le Cutty Sark forma plusieurs jeunes aspirants de milieux variés en vue de carrières dans la Royal Navy ou la Marine marchande. À la mort du capitaine Dowman en 1936, sa veuve offrit le Cutty Sark à l'Incorporated Thames Nautical Training College à Greenhithe. Lors de son départ de Falmouth en 1938, le navire suscita de nombreuses acclamations. C'était la dernière fois qu'il prenait la mer.
En 1938, le Cutty Sark devient un navire auxiliaire du navire-école des cadets HMS Worcester à Greenhithe, Kent. Il sert alors à former des officiers destinés aux marines royale et marchande, une mission cruciale avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en 1939. En 1951, le navire est déplacé à Londres pour les célébrations du Festival of Britain, mais son état attire l'attention de défenseurs déterminés à le sauver de la démolition.
Sous l'égide de la Cutty Sark Society, créée par Frank Carr, directeur du National Maritime Museum, le prince Philip prend possession du Cutty Sark au nom de la société lors d'une cérémonie spéciale, avant le couronnement de la reine Elizabeth II en 1953. En décembre 1954, le navire est remorqué dans une cale sèche spécialement construite à Greenwich. Suivent trois années de restauration minutieuse, ramenant le Cutty Sark à son allure de clipper à thé. Il est officiellement inauguré par Sa Majesté la Reine en 1957.
Un navire-musée
Depuis 1954, le Cutty Sark a été transformé en musée maritime affilié au National Maritime Museum de Londres. Classé en catégorie I et reconnu comme Navire Historique National au sein de la National Historic Fleet, il a également été inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1997. Il trône désormais en cale sèche le long de la Tamise, dans le quartier de Greenwich à Londres.
En 2007, un incendie endommage le navire en pleine restauration. Par chance, environ la moitié des éléments d'origine du bateau (les mâts, la majeure partie du plancher supérieur et le gouvernail), ainsi que le mobilier et l'armement, ont été préservés dans le cadre de travaux de rénovation, échappant au sinistre. Les dommages affectent l'ensemble de la structure centrale du navire, mais épargnent la coque, ainsi que les éléments de décoration extérieurs. La poupe si caractéristique du navire est également préservée. Néanmoins, les éléments de charpente intérieure et la majeure partie du plancher du pont intérieur, ainsi que la structure métallique soutenant l'ensemble de la coque, sont trop gravement endommagés pour être conservés et nécessitent une reconstruction complète.
Malgré ces revers, un projet de conservation ambitieux, "Saving Cutty Sark," est lancé pour restaurer le voilier.
Après des années de travaux, le Cutty Sark continue de captiver les visiteurs, symbolisant la grandeur du passé maritime britannique.
Le 25 avril 2012, la Reine Elizabeth II a rouvert le clipper après une restauration approfondie.
Afin de préserver la forme de la coque, le navire avait été élevé à trois mètres du sol, offrant ainsi une occasion unique de marcher sous ses lignes élancées.
Que fait l' "équipage" du Cutty Sark ?
En mer, l'équipage du Cutty Sark devait constamment entretenir et réparer le navire pour assurer sa sécurité et sa flottabilité. Bien qu'il ne navigue plus, des soins continus sont nécessaires pour préserver ce navire vieux de 155 ans et permettre à chacun d'en profiter. Chaque jour, une équipe ébrèche, peint, polit et répare toutes les parties du navire.
Le Cutty Sark est composé de divers matériaux tels que le bois de teck, le bois d'orme de roche, le fer et le laiton, nécessitant des méthodes d'entretien spécifiques. Une grande partie de l'entretien du navire suit un cycle annuel en raison des effets différenciés des éléments sur ses composants, comme le retrait ou la dilatation du bois en fonction des variations de température externe, pouvant entraîner des fissures voire des fuites.
Certains travaux, tels que le polissage de la dinanderie, nécessitent des répétitions fréquentes, tandis que d'autres, dictés par des besoins urgents, sont moins réguliers. Par exemple, le pont de dunette, la zone surélevée à l'arrière du navire, requiert de nouvelles planches pour maintenir la zone en dessous au sec.
En collaboration avec les spécialistes de TS Rigging, l'équipe d'armateurs consacrera les prochains mois au remplacement du pont actuel en utilisant des techniques traditionnelles. Ils utiliseront de l'iroko, un bois présentant des propriétés similaires à celles du teck d'origine, qui, bien que durable et de haute qualité, est désormais difficile à obtenir de manière éthique et durable. L'étoupe et la poix pour le calfatage sont employés de manière traditionnelle.