En 2021, l'application accessible et solidaire SARA Nav, pour sail and race audioguide, est apparue sur l'Apple store pour aider les marins non-voyants à gérer la navigation au cours de leurs périples à la voile. La préparation et le suivi des itinéraires, ainsi que la communication avec les instruments du bateau, ont fait de SARA une équipière hors pair. Mathieu Simonnet, développeur de l'application, nous livre le récit d'un projet où la voile devient le vecteur d'une émancipation.
1. Pouvez-vous nous parler de votre cursus et de ce qui vous a motivé à créer l'application SARA Nav avec Olivier Ducruix ?
En 2002, étudiant en STAPS, Sciences et Techniques des activités Physiques et Sportives, à Brest, la rencontre avec un public déficient visuel enthousiaste nous a amené à créer l'association Orion pour le développement de la voile en l'absence de vision. En 2009, la fabuleuse rencontre avec Olivier a donné un nouvel élan humain et technique pour le développement et la diffusion des outils à destination des marins déficients visuels. Les cycles de conception et les navigations de test s'enchaînent alors. En 2016, SARA, accessible et solidaire, débarque sur l'Apple Store au Salon Nautique de Paris. Aujourd'hui, nos travaux de recherche et développement ainsi que le déploiement de SARA et des autres outils accessibles qui gravitent autour, tels que des cartes en relief imprimées en 3D, des penons électroniques ou encore une ceinture tactile, continuent de progresser en France et à l'international.
2. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les fonctionnalités clés de SARA Nav pour rendre la navigation en mer accessible aux personnes déficientes visuelles ?
Les marins déficients visuels n'ont pas attendu SARA pour faire du bateau. Les sensations du vent dans les voiles sont explicites. Par contre, pour gérer les itinéraires et prendre des options par rapport à l'évolution des conditions météo, il faut préparer la route et obtenir des informations sur le cap, le balisage maritime, l'orientation du vent... C'est le rôle de SARA, soit en consultation manuelle grâce au lecteur d'écran bien connu des personnes déficientes visuelles, soit en paramétrant les annonces automatiques propres à SARA. Concrètement, l'annonce ''gisement port du château 20° tribord'' renseigne l'équipier déficient visuel sur la direction relative du prochain point de route. Ensuite, l'équipage est libre d'agir, ou non. L'annonce ne sera répétée que si les valeurs changent selon un seuil défini. Finalement, avec un bon réglage, SARA ne parle que lorsque les informations changent significativement, sinon on peut glisser tranquillement.
3. Comment se sont déroulés les premiers essais de SARA Nav avec des marins non-voyants, et quelles ont été leurs réactions ?
Les premiers essais avec SARA Nav ont eu lieu avec des marins non-voyants déjà habitués à l'utilisation des versions précédentes telles que SARA (2016), Seatouch (2008), Audiogliss (2006) et Orion (2003). Les réactions ont été enthousiastes parce que les fonctionnalités ont été développées en fonction de leur propre retour d'expériences. Naturellement, les idées d'évolution restent nombreuses. Par la suite, les personnes déficientes visuelles plus ou moins coutumières de la navigation accessible ont témoigné leur intérêt. L'accent est souvent mis sur la sensation d'être des équipiers plus efficaces, parce que mieux renseignés, et sur la nécessité de pratiquer plus en profondeur pour mieux maîtriser. Il est vrai que la prise en mains de l'ensemble des fonctionnalités implique quelques sorties afin de bien comprendre les informations annoncées et leurs conséquences directes sur la navigation. Mais à notre connaissance, ces sorties initiatiques sont plutôt plaisantes. En général, lorsqu'il y a des soucis, ce sont des réglages trop verbeux qui rendent SARA fatigante, à chacun de régler selon ses exigences. Certains techniciens utilisent beaucoup d'informations et parviennent à tout digérer pour optimiser les performances du bateau, alors que d'autres apprécient des navigations plus tranquilles et veulent juste que SARA veille pour éviter les sorties de route. Ça dépend des moments également, c'est la richesse du paramétrage ou des informations à la demande.
4. Quelles sont les dernières nouveautés et améliorations apportées à l'application SARA Nav depuis son lancement ?
La grande nouveauté de SARA Nav réside dans sa base de données cartographiques. Grâce à l'open data, Sara Nav accède au balisage maritime français du SHOM, et mondial via open street map, afin de permettre la préparation d'itinéraire précis sans la fastidieuse saisie des coordonnées géographiques des marques à contourner. Par exemple, un marin non voyant participant à une navigation sur le voilier d'un ami pourra créer sa route sur la simple description verbale du skipper : ''Pour aller dans la baie de Lampaul à Ouessant, nous laisserons le danger isolé Mengam à bâbord, puis les phares du petit Minou, des pierres Noires et de la Jument à tribord, avant de viser la latérale tribord Men-ar-Groas''. Grâce à la saisie des trois premières lettres de chaque nom, les points de passage pourront être ajoutés à la route. Les cap et distances peuvent être consultés en amont, puis, tout le balisage alentour pourra être annoncé au fur et à mesure de la navigation.
5. Parlez-nous plus en détail de la dernière version, SARA Régate ?
La dernière version de SARA Régate est dédiée à un format de course à la voile où tout l'équipage se bande les yeux. L'application permet de créer des parcours sur l'eau en ne renseignant que la position du comité et la direction du vent. Bien que les distances des segments soient également paramétrables, ces informations suffisent à positionner des marques virtuelles que l'équipage s'efforcera de contourner sans la vue grâce aux informations de SARA. Dorénavant, des parcours respectant les règles du match racing sont également disponibles. SARA s'appuie également sur des fonctionnalités réseaux permettant de créer et partager un parcours de régate, puis de lancer un compte à rebours pour synchroniser pour les équipages. Finalement, il reste à gérer les positions des autres embarcations qui sont annoncées par le son des sifflets des arbitres embarqués.
6. Pourquoi avoir choisi Damien Seguin comme parrain de l'application ?
Damien Seguin est un symbole d'intégration de marin avec un handicap au sein du monde la voile valide. L'idée est l'échange gagnant-gagnant entre les sensations de glisse des marins non-voyants et les clés de la performance pour les coureurs au large.
7. SARA serait également recommandée pour les marins voyants. Avez-vous eu l'opportunité d'en faire l'expérience en conditions réelles de navigation ?
Le principe des annonces vocales automatiques bien paramétrées consiste à attirer l'attention sur une information spécifique au moment où elle est significative. Qu'il s'agisse d'une aide à l'attention en situation de fatigue ou d'une aide visuelle en situation de difficulté de la vue, le principe de l'information qui vient au navigant, plutôt que le navigant qui doit rechercher l'information, reste intéressant. Pour le moment, des plaisanciers, écoles de croisière et coureurs au large ont réalisés des petits essais tout à fait concluants. Nous avons écouté les recommandations. Nous nous concentrons maintenant sur l'ajout de nouvelles fonctionnalités pour proposer une SARA plus complète, et encore plus flexible afin d'être utile à un public plus large.
Des premières navigations à l'ajout de fonctionnalités innovantes, SARA Nav incarne l'esprit de la voile inclusive, de la découverte jusqu'à la compétition nationale et internationale, en passant par la pratique en loisir dans des structures nautiques de la fédération. Une initiative où la voile va bien au-delà du simple exercice nautique, pour ouvrir la porte vers une indépendance et une maîtrise épanouissante de la plaisance.