Interview / Sam Davies : Une dernière course pour dire au revoir à son actuel Initiatives-Coeur

© Yann Riou

Après sa collision et sa fin de course hors compétition sur le Vendée Globe, Sam Davies a repris confiance en elle et en son bateau, notamment aidé par son co-skipper Nicolas Lunven. Elle s'apprête à participer à sa dernière course avec son bateau actuel, puisqu'elle a lancé la construction d'un plan Manuard qu'elle récupèrera en 2022.

À moins d'un mois du départ, dans quel état d'esprit es-tu ?

Je suis super contente d'arriver sur la grande course de cette année. Je me sens prête. Avec Nico (NDLR : son co-skipper, Nicolas Lunven) on a fait du double cette année. C'est un plaisir de retrouver ce format. Ce n'est forcément pas la même approche sur un Vendée Globe en solitaire qu'une transat en double. On est beaucoup plus à l'attaque. On va naviguer pied au plancher du début à la fin. Le Vendée Globe, c'est une autre approche, essayer d'arriver jusqu'au bout. Quand on navigue pendant 3 mois, avec ce qui peut se passer sur un tour du monde, on est forcément moins à l'attaque.

Quelles sont tes ambitions sur cette Transat Jacques Vabre ? Est-ce que tu as une revanche à prendre après le Vendée Globe ?

Sur le Vendée Globe, j'ai eu une collision et j'ai terminé hors course. J'avais donc encore plus de raisons de ne pas attaquer. J'ai été beaucoup au ralenti entre guillemets sur ce tour du monde. Et seule. Sur cette Jacques Vabre, je vais retrouver des concurrents proches, régater en compétition et pousser mon bateau de nouveau à 100 %. Je vais mettre en application tout ce que j'ai continué à apprendre grâce à Nico. Il m'apporte son point de vue sur les réglages, l'entrainement. On va aller encore plus vite que jamais. Même si on n'est pas dans les plus rapides de la flotte. Mais on va être au contact des bateaux modifiés et optimisés comme le nôtre.

As-tu effectué un chantier sur Initiatives-Cœur ou seras-tu dans la même configuration qu'avant le tour du monde ?

On l'a remis en l'état et effectué d'importantes vérifications. On a aussi changé des pièces cassées. Mais aucune optimisation. On n'a même pas de voiles neuves cette année. Le bateau était super bien préparé avant le dernier Vendée Globe.

Il reste encore des choses à faire pour l'optimiser. On continue de découvrir, on apprend. Mais on a un nouveau bateau en construction. Je vais transmettre à Cali (NDLR : Arnaud Boissières, skipper de la Mie Caline rachète l'IMOCA Initiatives-Cœur), nouveau skipper de mon bateau, les choses à améliorer.

L'IMOCA Initiatives-Coeur
L'IMOCA Initiatives-Coeur

Peux-tu nous parler de ton nouveau bateau et du choix d'un plan Manuard ? Était-ce une envie personnelle ou un choix commun avec tes sponsors ?

C'est une envie personnelle bien sûr. Mon rêve est d'être de plus en plus performante. D'être au départ des courses à armes égales. J'ai commencé à maitriser la machine et j'ai confiance sur mes capacités à emmener un bateau comme ça à son potentiel.

Après il y a le rêve et la réalité. Il faut trouver aussi la possibilité avec le budget que l'on a, et l'esprit du projet que l'on porte. C'est énorme de soulever cette opportunité ! C'est l'unification de plusieurs choses.

On ne pouvait pas faire certaines choses, mais l'on a appris que Black Pepper lançait une V2 du bateau de Sam Manuard. Ce plan m'a plu ainsi qu'à l'équipe technique du projet Initiatives-Cœur. C'est un bateau innovant avec une carène que l'on trouve super intéressante. Sam est un architecte, mais aussi un marin. J'ai fait la Mini Transat avec lui.

Le bateau était déjà en construction. Ça nous fait gagner du temps. C'est très important de naviguer rapidement sur un nouveau bateau. Ça implique beaucoup de choses à apprendre. Je ne me sens pas capable de prendre en main un bateau à la dernière minute et de le fiabiliser rapidement avant le grand rendez-vous du Vendée Globe. Avec ce choix, on gagne en budget et en temps. On réalise notre rêve de projet tout en passant sur un bateau plus compétitif.

Sur cette course en double, tu seras avec Nicolas Lunven. Peux-tu nous en parler et expliquer les forces de votre binôme ?

J'aime bien naviguer avec les gens très motivés et enthousiastes parce que je le suis moi-même. J'ai reçu quelques appels pour naviguer avec moi. C'est un signe d'enthousiasme qui montre qu'ils ont envie de naviguer en double. Nico a été un des premiers à m'appeler pour évoquer la Jacques Vabre. J'adore aussi naviguer avec des personnes qui peuvent m'apprendre des choses. Il a gagné 2 fois la Solitaire du Figaro, possède un palmarès énorme et a beaucoup d'expérience en IMOCA. Il a beaucoup navigué sur le même type de bateau qu'Initiatives-Cœur. Il a aussi navigué avec Nicolas Troussel sur un bateau neuf (Corum) pour préparer le Vendée Globe.

C'est un marin talentueux. On s'entend bien. On est tous les deux au sein du pôle Finistère Course au large. Il y a beaucoup de choses positives. C'était important aussi d'avoir quelqu'un qui m'aide à reprendre confiance.

Sur le Vendée Globe, mon accident m'a fait très peur. Je ne voulais pas que ça pollue ma course et mon plaisir de naviguer. J'adore ça. Je voulais retrouver ce plaisir et essayer de supprimer les restes de cette collision. Nico me donne confiance de naviguer avec lui. Il est pied au plancher, avec cette tendance calme, rassurante. C'est un plaisir de découvrir ce côté en lui.

Nicolas Lunven et Sam Davies
Nicolas Lunven et Sam Davies

Quels sont les contraintes et avantages d'un format de course en double en comparaison du solitaire ou de l'équipage justement ?

L'avantage c'est le partage d'apprendre avec quelqu'un d'autre. On est deux cerveaux, deux paires de bras. La prise de décision pour la stratégie et les manœuvres est plus facile à deux. C'est aussi une sorte de solo puisqu'on gère la vitesse et les manœuvres pendant que l'autre se repose. C'est une sorte d'équipage réduit pour toucher à tout. Avec la polyvalence, on ne s'ennuie jamais. On doit tout faire, mais en étant rassurant, en gérant le mental et le physique d'une 2e personne. On est pied au plancher tout le temps, car on n'a pas besoin de pilote et d'alarmes pour gérer le bateau.

Ça permet de partager, de découvrir, de progresser, de rigoler ensemble et d'avoir peur ensemble. On partage de manière très intense sur une durée très courte. C'est toujours un plaisir. J'adore ces courses en double.

Que penses-tu des nouveaux parcours de course ? Qu'est-ce que ça va changer ?

J'aime bien le parcours jusque Salvador, j'aime descendre l'Atlantique, passer entre les îles, se laisser pousser par les alizés, passer le pot au noir. On découvre toutes les zones atlantiques, avec plein de conditions différentes et c'est un challenge. Je suis contente d'avoir conservé cette partie en IMOCA, comme il y a deux ans.

Pour la nouvelle partie, c'est bien aussi d'avoir quelque chose de différent. On réfléchit, on travaille avant le parcours, la météo. Il va y avoir certains pièges et ce dernier tronçon, on ne le fait pas souvent. Je l'ai déjà fait sur la Volvo Ocean Race, mais ce n'est pas tous les ans. Nico la connait aussi du coup. Ça rajoute du piment et c'est intéressant. Et pour ceux qui nous suivront depuis chez eux aussi.

L'IMOCA Initiatives-Coeur
L'IMOCA Initiatives-Coeur

Comment te sens-tu face à la concurrence, aussi bien en termes personnels qu'en termes matériels (bateau) ?

Je trouve le plateau énorme et incroyable pour une année qui suit le Vendée Globe. Il y a beaucoup de projets qui continuent, donc la plupart des skippers connaissent bien leur bateau. Notamment sur les bateaux neufs, qui n'avaient pas pu montrer toute leur puissance sur le Vendée Globe. Tout le monde va être pied au plancher. Les équipes maitrisent désormais cette nouvelle génération de bateaux. Il y aura moins de ralentissement pour des bricoles techniques. Ça va être intense et à fond ! La compétition va être dure et serrée.

Ça va être un peu dur pour nous. J'arrivais plus ou moins à suivre sur le Vendée Globe, mais avec le gain de performance et une meilleure prise en main, on a vu sur la Rolex Fastnet ou le défi Azimut que ces bateaux sont durs à suivre. On n'a pas le même potentiel sur les performances pures. On va se battre avec les bateaux de 2016, celui de Romain Attanasio, Yannick Bestaven, Isabelle Joschke. Ils sont bien entretenus et optimisés comme Initiatives-Cœur. Notre objectif c'est d'être le meilleur de ce groupe. De bien naviguer, de faire nos jolies trajectoires, les bons choix de voile et être à fond tout le temps. On n'a pas d'objectif de classement, de place dans la flotte.

Avec Initiatives-Cœur, notre 2e objectif c'est de continuer à sauver des enfants. Je compte sur le public pour leur soutien, où pour chaque nouveau follower, pour lequel nos partenaires donneront 1 €. On s'est fixé un objectif de sauver 25 enfants. Avec Nico on va être à fond. Si on navigue bien, les gens nous soutiennent.

Notre motivation repose à la fois sur la performance et le partage avec le public. C'est un objectif qui reste très important. Nico découvre ce côté solidaire du projet et joue bien le jeu.

Sauver des enfants, un objectif important pour Sam Davies
Sauver des enfants, un objectif important pour Sam Davies

Après la Transat Jacques Vabre, quels sont tes projets ?

On va ramener le bateau par la mer avec Cali, avec son nouveau propriétaire, Nico et Arnaud. Le bateau va retrouver sa nouvelle maison aux Sables-d'Olonne. L'équipe d'Initiatives-Cœur prépare l'arrivée du nouveau bateau, qui arrivera chez nous à la fin de l'année et que l'on terminera en interne. On va monter tous les systèmes à bord et le découvrir en navigation au début de l'été prochain ou à la fin de printemps.

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