Exclusif / Gérard Petipas nous parle de sa vie auprès d'Eric Tabarly

Portrait d'Eric Tabarly à la cité de la voile de Lorient

Prenant part pendant près de 40 ans à la vie du fameux coureur à la voile, Gérard Petipas a côtoyé au quotidien Eric Tabarly, dans les coups de génie comme dans les difficultés. Il nous parle son ami, en toute humanité.

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Lorsque Gérard Petipas parle de Monsieur Tabarly, ne vous méprenez pas. Il ne s'agit pas du fameux coureur au large. Il s'agit du père du coureur, Guy Tabarly. Celui-là même qui a mis le pied de son fils, alors âgé de 7 ans, sur un bateau pour la première fois. Pour celui qui porta l'uniforme de navigateur, Éric qualifie Tabarly.

Gérard Petipas
Gérard Petipas

Leurs chemins se sont croisés pour la première fois au début des années 60, quelque part entre Saint-Malo la Bretonne et Granville la Normande, au hasard des pontons d'une Cowes-Dinard bien vite menée, certainement remportée par le Nantais.

Rencontre presque fortuite

Gérard Petipas, le navigateur de Tabarly pendant 15 ans, nous explique "Dans les années 60, il n'y avait pas plus de  5 ou 10 bateaux qui allaient courir en Angleterre. Nous avons couru la Cowes Dinard. Passionné par tous les bateaux qu'il pouvait croiser, Éric est venu observer le vieux 6 m sur lequel je courais. C'est là que nous nous sommes rencontrés pour la toute première fois. Puis nous nous sommes retrouvés pour la course, courant l'un contre l'autre. Après la compétition, je devais reconduire le bateau sur Granville et je n'avais rien de prévu pour la suite. Éric non plus d'ailleurs. Nous avons échangé nos absences de plan et Éric m'a proposé d'aller faire un tour en mer avec lui. Cap sur les Anglo-Normandes. Jersey, Guernesey, Sark et les Minquiers. Nous nous sommes entendus, autour de ces tas de cailloux."

Eric Tabarly et Gérard Petipas en course
Eric Tabarly et Gérard Petipas en course

Un quotidien facile avec le coureur

Vivre au quotidien avec un compétiteur, skipper et expert pourrait s'apparenter à une gageure. Qu'en est il réellement ? C'est ce que nous explique Gérard Petipas "La vie quotidienne avec Éric était facile, extrêmement facile même. Éric ne savait pas, il ne pouvait pas ne pas accorder sa confiance à 100 %. S'il vous faisait confiance, alors il le faisait entièrement et sans retenue. Il ne fallait pas tromper sa confiance par contre, car on la perdait aussi à 100 % dans ce cas."  Il continue, "Éric possédait le talent de savoir s'entourer des bonnes personnes, créer une émulsion entre les êtres. Ses équipages étaient ainsi, un boute-en-train (Kersauson) un gestionnaire (Petitpas), un technicien (lui). Tous ces talents réunis équilibrent le fonctionnement d'un bateau qui, du coup, n'était jamais ni trop quelque chose ni pas assez autre chose."

Étonnant de constater que le taiseux Éric Tabarly représente un meneur d'hommes, un chef d'orchestre apte à organiser les personnes pour les faire fonctionner de concert, les motiver et les entraîner. Manager avant que le terme ne soit à la mode, peut-être. Fin tacticien sans doute. Confiant, évidemment.

Eric Tabarly, Manager avant l'heure
Éric Tabarly, Manager avant l'heure au départ de la Sydney-Hobart

Jamais une seule dispute

Le confident d'Éric Tabarly continue : "J'ai été à bord avec Éric pendant 15 années, puis nous avons fondé des sociétés : Pen Duick et autres. Certaines de nos entreprises ont été de vrais succès, d'autres de fumants échecs. Nous avons eu, Éric et moi, des divergences de point de vue, dans les affaires comme sur l'eau, mais jamais de dispute, jamais un mot plus haut que l'autre. Éric savait être attentif aux autres, les entendre et tirer l'utile de ce qu'ils lui donnaient. Il respectait tous les points de vue et toutes les personnes sur un pied d'égalité, sans jamais dénigrer quiconque."

Confiant, toujours

Les anecdotes ne manquent pas dans la manière dont Tabarly menait ses affaires. Gérard nous raconte : "Un jour, conseil d'administration d'une de ces sociétés. Nous étions présents Éric et moi. Il lisait son journal, totalement absent de ce qui se passait ou se disait autour de lui, absorbé par sa lecture. A un moment, un des avocats l'interpelle et lui demande s'il se désintéresse de ces affaires. Éric le fixe de ce regard puissant et lui répond qu'il a entièrement saisi ses explications, mais Gérard est là et sait gérer." C'était ça Tabarly, une capacité à déléguer en confiance autant qu'en conscience. Il ajoute, "D'ailleurs, ce demandez à Gérard deviendra bientôt sa réponse standardisée, y compris parfois pour à peu près tout et n'importe quoi !"

Manager souvent

Le monde de l'entreprise et son fonctionnement par délégation est décidément extrêmement proche de la manière dont le skipper menait ses équipages. On constate que la délégation attentive, la confiance encadrée, la bienveillance professionnelle et concept vus si novateurs aujourd'hui représentaient la réalité de ce précurseur. Il y a des raisons à cela, comme nous l'explique l'associé du créateur d'entreprise : "Il y a moins de Tabarly dans le monde de l'entreprise aujourd'hui. Avant, le PDG de Fleury Michon passait un coup de fil à Poupon pour parler voile et partenariat, tout comme le président du Crédit Agricole restait en contact avec Jeantot. A de remarquables exceptions près, il n'y a plus de contacts entre les personnes. Qu'il s'agisse de skippers ou de clients, les présidents de ces vastes groupes sont coupés du monde par les échelons qu'ils ont mis en place entre la base et eux. Service communication, équipe presse, team marketing et autres structures sont autant de filtres qui, tels des miroirs déformants, projettent aux responsables la seule image qu'ils imaginent que ces investisseurs attendent." C'est quelque peu désabusé que Gérard exprime ses regrets avant de conclure : "Le monde actuel n'a plus de place pour un Tabarly. Peut-être qu'il n'en a pas besoin ?"

Obstiné parfois

Le tableau idyllique est à nuancer néanmoins "Le seul vrai défaut de Tabarly ? Lorsqu'il ne voulait pas faire quelque chose. Une vraie mule, têtu et borné. S'il avait décidé de ne pas faire, vous pouviez tout essayer, tout tenter, il ne le ferait pas, ni aujourd'hui ni dans un an, même si vous parveniez à lui prouver qu'il avait tort." Corollaire à tout défaut, la qualité correspondante : "Par contre, lorsqu'il avait acquis fait et cause pour un sujet, il pouvait retourner des montagnes. Par exemple, dans l'affaire du musée de la Marine, [ndlr. En 1996, le président Chirac envisageait de déménager le musée de la Marine en dehors du Palais de Chaillot pour y installer le Musée des Arts Premiers en lieu et place, ce à quoi Tabarly s'opposait fermement] Éric m'appelle un soir et m'explique ce combat. Il me demande de l'aider. Il voulait être au 20 h de PPDA le lendemain soir. Il l'a été, il a plaidé sa cause et il a gagné. Comme il savait généralement le faire."

Aura-t-on, un jour, fini d'écrire sur Éric Tabarly ? Le voile n'a pas encore été levé sur tous ses secrets. Beaucoup de gens de mer, en 2020, se réclament de l'héritage du navigateur. Peu l'ont côtoyé. Et de ceux qui l'ont fait, nous devons sauvegarder et choyer la mémoire.

Nous remercions Gérard et son épouse pour ces mots, pour le partage de ces émotions.

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