Un convoyage sur un parcours de rêve
Romain et son équipage sont appelés pour convoyer un voilier de 12,5 m, le Belouna, de Saint-François, en Guadeloupe, à Ajaccio, en Corse. Le bateau est bien entretenu, il est équipé d'un radeau de sauvetage, d'une balise EPIRB et d'un grab-bag.
Romain et ses équipiers, David et Clément, quittent le port de Saint-François le 15 juin 2019. Cap au nord vers les Bermudes pour la première escale prévue. La vie à bord s'organise et tout se passe bien jusqu'au 22 juin. Il est à peu près 20 heures, l'heure du repas de l'équipage, quand le Belouna heurte quelque chose.
Le choc est violent. Tout l'équipage sort sur le pont, mais ne voit rien. Ils vérifient l'intégrité de la coque et, mais n'observent rien d'anormal. Le Belouna ne faisant pas eau, l'équipage reprend sa route.
Un naufrage en moins de 3 minutes
La nuit suivante, vers 2 h du matin, David est hors quart dans la cabine arrière quand il est projeté sur la cloison latérale. Le Belouna se couche brutalement et ne se redresse pas. L'eau de mer, chargée de multiples objets flottants, entre à gros bouillon par la descente. Tout va très vite.
David essaye d'aller récupérer l'EPIRB et le bidon de survie dans le carré, mais il a déjà de l'eau jusqu'aux épaules sur un bateau couché à 110°. Il doit évacuer par le panneau de sa cabine, en apnée.
Une fois à la surface, il est soulagé de retrouver ses équipiers agrippés à la coque retournée. Les trois quarts avant du Belouna sont déjà sous l'eau et le voilier s'enfonce rapidement. Ils parviennent in extremis à récupérer le radeau qui est déjà à 2 m sous l'eau. La survie se gonfle parfaitement, et tout l'équipage s'y installe. David pense replonger pour récupérer l'EPIRB, mais préfère renoncer de peur de se retrouver accroché à un débris l'entrainant avec l'épave.
Le Belouna disparait dans la nuit. 3 petites minutes se sont écoulées entre le chavirage et le naufrage.
Après le naufrage, l'attente
David, Clément et Romain se retrouvent dans le radeau, hébétés par la rapidité du naufrage. Ils n'ont ni balise ni grabag. Et leur radeau, qui est un modèle -24 h, n'est pas pourvu en ration de survie ni en eau. Ils étaient pourtant en toute légalité, car un radeau hauturier -24 h est règlementaire pour traverser l'Atlantique.
La situation n'est pas brillante, mais le moral est là. Romain est nu, David est en short et Clément en veste de quart.
Une demi-heure seulement après le naufrage, le feu d'un navire est repéré à proximité du radeau. Deux fusées-parachutes et un feu à main sont percutés, mais le navire poursuit sa route.
La première journée dans le radeau se déroule sans dire un mot. Durant la 2e nuit, le passage d'un gros grain permet aux naufragés de récupérer de l'eau de pluie, grâce notamment au système prévu à cet effet, qui est intégré au radeau.
Romain cogite en silence : "Moi seul sais que seul un cargo sera notre salut, mais je ne dis rien pour ne pas miner le moral de notre petit groupe qui se porte bien malgré le froid la nuit, ''inconfort du radeau, et la chaleur la journée. Les minutes sont des heures, les heures sont des jours et les jours des semaines."
En fin d'après-midi, un voilier est repéré à seulement 1 mille du radeau. "Nous sifflons, nous ramons nous faisons des gestes, le soleil est derrière nous et le voilier devant. Le voilier diminue à l'horizon il ne nous a pas vus. Encore des doutes, mais notre moral est bon" relate David dans son journal de bord.
La nuit du lundi au mardi est froide, et la condensation rend l'atmosphère très désagréable.
Sauvé par un miroir de 5 cm de diamètre
Le mardi 25 juin, vers 16 h, un cargo est aperçu. Il se situe entre le radeau et le soleil, qui fait face aux naufragés. David et Clément rament pour lui couper la route pendant que David utilise le petit miroir pour envoyer des signaux de lumière. Le cargo passe à 100 m et semble ne pas voir le radeau, malgré les efforts des naufragés.
Mais 300 m plus loin, il vire sur bâbord puis sur tribord en lançant plusieurs coups de corne. David, Clément et Romain sont sauvés !
La chance sourit enfin aux naufragés. Ils montent à bord du Sider Mompox, un cargo de 140 mètres battant pavillon panaméen et transportant 17 000 tonnes de sucres.
De suite, nous avons pu rassurer nos familles, reprendre des forces. Nous avons été choyés par tout l'équipage. Le Mompox nous a débarqués à Londres, après quelques péripéties administratives j'ai pu rentrer à Ajaccio", souffle David.
Les raisons de ce naufrage ne sont pas définies. Belouna était un dériveur lesté en aluminium. Il est probable que le choc de la nuit précédente ait endommagé la coque au niveau du puits de dérive.
Partager son expérience avec le fabricant du radeau
Pour le fabricant lorientais du radeau du Belouna, Plastimo, le témoignage de David est riche d'enseignements.
"Les suggestions d'amélioration sont reçues avec attention par les techniciens du Bureau d'Études de Plastimo : les témoignages d'utilisateurs permettent au fabricant d'avoir un véritable feedback alimenté par du vécu" nous explique Cathy Millien, responsable communication de Plastimo.
"Car même si les radeaux sont évidemment testés en mer par le Bureau d'Études, ils le sont par des techniciens qui connaissent le produit par cœur, et qui n'ont pas le handicap supplémentaire du stress et du traumatisme."
C'est pourquoi Plastimo offre aux naufragés (pouvant justifier d'un rapport de mer validé par les autorités maritimes) un radeau de remplacement, en contrepartie d'un échange sur leur vécu, qui peut être source d'amélioration du radeau.
Et Cathy Millien d'ajouter "un témoignage de naufragé survivant est une motivation supplémentaire pour nos équipes en production : le rappel que rien n'est anodin dans la fabrication d'un radeau, que chaque geste est important, que chaque valve bien positionnée, chaque pliage bien fait contribue au bon fonctionnement du produit dont la mission est de sauver des vies. On parle beaucoup de "donner du sens" à son travail : il est évident que le témoignage de survivants contribue à donner du sens au travail quotidien de nos techniciens."