Que vit Elodie Bonafous en course ? Sensations et peur...

© Jean-Marie Liot

La course à la voile, ce sont des performances, des palmarès, de la stratégie, de la technologie, bien sûr. Mais aussi de singulières sensations pour les skippers ! Elodie Bonafous se livre…

Toute jeune, cette Bretonne pratique durant ses loisirs l'Optimist, le 420, l'habitable en inshore et le match racing. Elle fréquente l'Ecole de voile de Locquirec. Plus elle grandit, plus elle admire les skippers professionnels qui se mesurent sur les océans du globe. Ce qui la conduit à boucler son premier Tour de Bretagne, en double, à bord d'un Figaro Bénéteau, où elle arrive 15e sur 37 participants. A seulement 24 ans, en remportant le Challenge Bretagne CMB Océane qui l'assure de participer aux prochaines épreuves du Championnat de France Elite de course au large, elle est devenue, au cœur du Pôle Finistère Course au Large, une pro de la voile !

La vue

C'était assez récemment, en décembre 2019, lors d'une course de sélection pour intégrer le Team Bretagne-CMB auquel je participais sur un Figaro 3. Tous les concurrents avaient dû quitter le ponton de Port-La-Forêt très tôt le matin à cause de la marée. Mais, pour le départ, il fallait attendre que le soleil soit levé. Alors, on est allé mouiller à proximité de la ligne. Il faisait encore nuit noire. Une nuit très paisible, sans presque aucun bruit. J'attendais, assise dans le cockpit. Et j'ai vu, en assez peu de temps, me semble-t-il, le ciel passer de la nuit au jour dans un magnifique dégradé de couleurs : du noir étoilé au bleu ciel, en passant par du violet, du rose, du jaune… Quel panorama devant moi ! J'ai admiré, ça m'a apaisé. J'ai été émerveillée. Et j'ai commencé ma journée d'une autre façon… Une profonde sensation, c'est vrai, sans doute amplifié par le fait que s'annonçait un jour assez déterminant : l'enjeu était grand pour moi, car, si je réussissais à intégrer le Pôle Finistère course au large, je ferais un grand pas dans ma carrière de marin. Tout s'est bien passé… et j'ai avancé dans la course à la voile ! Depuis ce jour, je porte un autre regard sur le ciel quand je prends le temps de le contempler…

Le toucher

Pour ce sens-là, je me souviens d'un entraînement à la journée, qui s'est déroulée au large de Roscoff à l'automne 2019. C'est une saison connue là-bas, pour sa météo pas toujours agréable : le froid est bien là, et les tempêtes se succèdent ! Bref, la fin de la journée arrivait, on terminait la navigation. À l'approche du port, une averse de grêle nous est tombée dessus, tout d'un coup. J'avais vu le grain arriver, mais j'en avais sous-estimé la violence. J'ai été surprise : je m'attendais à de la pluie, oui, mais pas à cette foule de petits grêlons si durs ! Des trombes, pas si longues, juste le temps de les trouver horribles…  Ça me fouettait et me brûlait presque le visage, ça me martelait le corps. Et le froid, bien sûr, n'arrangeait rien ! Je n'avais qu'une envie : aller me mettre à l'abri. Mais impossible puisqu'il fallait faire avancer le bateau. Comme elle a commencé, subitement, la grêle s'est arrêtée, d'un coup. Et j'ai ressenti, après ces innombrables assauts glacés, une inattendue et douce chaleur sur ma peau… un vrai contraste, que j'ai pleinement apprécié alors !

L'ouïe

Pas un seul, mais plusieurs souvenirs me viennent en tête. Ils sont tous liés à la bonne performance du bateau, ils la confirment et décuplent ainsi cette sensation de vitesse en mer… que j'adore !

C'est d'abord, la vibration du bateau en entier, quand il file au planning. Certes, c'est un bruit énorme, et à certains moments on peut le trouver lancinant. Mais c'est comme une jauge sonore pour moi, qui me permet de savoir si je suis à la bonne vitesse. Et quand c'est le cas, quel bonheur ! Comme autre bruit lié à la performance, il y a ensuite les gerbes d'eau qui retombent sur les côtés de la coque. C'est un son unique je trouve, jamais je ne l'ai entendu ailleurs qu'en mer. Lui aussi accompagne ma navigation : continu et vif, il est l'illustration d'une avancée sans à-coups et rapide et… donc des plus agréables en course ! Ce petit bruit-là me fait battre mon cœur plus vite, c'est vrai, il me fait monter mon adrénaline. Il y a encore un autre bruit qui me ravit : celui du tissu des voiles. Il se fait entendre quand le vent gonfle bien les voiles, et donc que le bateau avance vraiment. Ça fait plaisir. Un peu moins, dès que ça faseye un peu trop : alors, ça peut abîmer la toile. Voilà un bruit qui peut, selon son intensité, ou me charmer les oreilles ou me les écorcher !

Le goût  

Ça date : c'était de l'époque où je faisais des régates en Optimist… Elles étaient organisées sur une journée. Je déjeunais à bord ! L'entraineur venait me voir pour parler des courses, pour discuter un peu et me demander si j'avais besoin de manger ou de boire. Et quand je commençais à avoir faim, je devenais impatiente. Je savais ce qu'il allait m'apporter, et j'en salivais d'avance… Ce sont mes parents qui me préparaient ma boîte avec le repas, mais ce qu'il y avait dedans, c'est une copine et moi qui l'avions inventé. On en raffolait ! Aujourd'hui, j'en garde un souvenir ému, mais je n'en déguste plus. C'est resté attaché à mes navigations enfantines… Enfin, je n'en suis plus si sûre : je vous en parle, je vous en parle… et je sens bien que l'eau me vient à la bouche ! Ah oui, la recette de ce sandwich, j'allais l'oublier : prenez un morceau de bonne baguette, fourrez-là de jambon de parme, d'emmental râpé, et de roquette. Ajoutez-y pour finir un œuf mollet dont le jaune coule à l'intérieur en faisant fondre un peu le fromage… un délice !

L'odorat 

Plusieurs de ces souvenirs olfactifs sont regroupés dans un seul endroit : la rade de Brest. C'est là que j'étais en sport étude : je m'y suis donc beaucoup entraînée. C'est un lieu presque clos : on y est toujours à proximité du rivage. Et je me rappelle qu'en fonction de la direction des vents, on pouvait sentir des odeurs très différentes qui s'échappaient de la terre. Il y en a une qui m'a marquée, mais dont je n'ai jamais pu identifier la provenance, étrangement. Il faut dire qu'elle l'était, étrange, je veux dire ! Imaginez que vienne vous chatouiller les narines, alors que vous êtes en pleine navigation, un parfum de panini fromage ! Moi, j'adore ce sandwich chaud, mais le sentir à cet endroit-là, assez proche du port de commerce de Brest, des raffineries… Il n'y avait vraiment aucune raison que ça sente le pain grillé et le fromage fondu ? Je dois vous l'avouer, j'étais la seule parmi les élèves à saliver dans ce coin-là de la rade… Pour autant, tous, nous avions localisé des odeurs et les avions associés à des zones : c'étaient presque devenus des outils de navigation pour caractériser la direction du vent ! Par exemple, à l'opposé du panini fromage, il y avait du champêtre, de l'agricole, du terrien… la campagne en face de Brest !

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