Alors que l'équipage de Tivano nous régale habituellement avec leurs vidéos, cette fois l'épisode sera rédigé. La faute à l'ordinateur du bord qui n'a pas aimé la vague vicieuse qui l'a arrosée. De même, cette absence d'informatique ne nous offre pas beaucoup de photos.
Mais Charlotte nous livre ici un beau récit de mer avec à la clé la chance de fêter ses 30 ans dans le décor de rêve des Grenadines. Bon anniversaire Charlotte !
Voilà le récit de notre transat...
Nichée au creux du cockpit, tête adossée à la barre à roue et yeux rivés sur l'écran électronique indiquant la direction et la vitesse du vent, je m'apprête à passer mon avant-dernier quart de transat.
Des grains !
Depuis quelques nuits nous avons à faire à des "grains". En quelques secondes, la force du vent se démultiplie, change de direction et une pluie torrentielle s'abat sur le bateau. Il faut alors rouler au plus vite le génois, changer de direction sur le pilote et fermer toutes les ouvertures du bateau ! Le tout sur une mer qui fume d'écume et un bateau qui se couche, il y a de quoi faire paniquer la néophyte de la mer que je suis !
Je scrute donc avec la plus grande vigilance l'écran indiquant la vitesse du vent. Soudain, il indique une rafale à 15 nœuds. Je me lève, cœur battant la chamade et attrape la drisse d'enrouleur de génois. Prête à rouler, j'attends de voir si le vent continue à monter. Voilà qu'il se calme à nouveau, je peux me rallonger. Et commencer à poser par écrits ces quinze jours de transat que nous venons de vivre avant que toutes ces premières impressions soient oubliées.
Difficile de quitter le Cap-Vert
Nous avons quitté notre mouillage de Tarrafal, sur l'île de Santiago (Cap-Vert) le 7 janvier 2018. Direction Praia pour retrouver Anna, notre équipière et faire les formalités de départ chez les douaniers. Cette étape, obligatoire, sera rapide. Plusieurs cas de piraterie ont eu lieu ces derniers temps à la capitale, nous ne souhaitons donc pas nous y éterniser... Nous prenons en revanche le temps de faire une pause de plusieurs jours au sud de l'île de Brava, au pied d'un petit village de pêcheur qui nous réserve un accueil incroyable.
Nous y retrouvons un bateau copain, le catamaran "Mission Océan". Les garçons sont invités par les pêcheurs à aller pêcher avec eux (en chasse sous-marine), et nous rapportent poissons frais et langoustes à foison. Dans l'eau, Pierre fait sa première rencontre avec des requins... Nous sommes ensuite conviés à un festin sur la plage. Les pêcheurs ont organisé un barbecue avec leur pêche, avec une compote de papaye caramélisée au feu de bois en dessert... Nous passons tous ensemble trois jours fantastiques, avant de hisser les voiles pour le grand départ...
Gérer les deux enfants en transat
Les premiers jours sont fatigants. Le vent est soutenu, la mer agitée, et nos corps luttent pour s'amariner. Grâce à Stugeron, un médicament contre le mal de mer, aucun de nous n'est cependant malade. Le roulis du bateau énerve les enfants, qui sont grognons. Julia adopte son mode "mini despote" et enchaine les caprices. Au bout de quelques jours, épuisés nerveusement de l'entendre chouiner à longueur de journée, nous renforçons notre cadre. À chaque caprice elle est isolée un moment dans sa chambre. Aussitôt elle redevient adorable, et notre quotidien devient bien plus agréable !
Les changements de rythme incessant de notre nouvelle vie sont bien difficiles à gérer pour notre petit taureau ... Mais elle s'y adapte remarquablement bien, et développe une belle ouverture au monde et aux autres. Gabriel reste imperturbablement joyeux et savoure chaque instant du voyage. Les traversées sont pour lui des moments privilégiés de temps partagé avec ses parents et sa sœur et il en profite pour nous abreuver de câlins. Bien amariné à présent, il ne se fait plus mal et cette transat est une victoire sur le plan corporel : aucun bleu ni bosse est à déclarer !
Nos petits mousses s'attachent très vite à Anna qui s'en occupe à merveille. Pierre est de son côté ravi : avec son spi et sa trinquette, Tivano a fière allure ! Nous approchons des moyennes de 7 nœuds les premiers jours !
De l'importance de bien cuisiner
Finalement, le temps se calme au bout du 3e jour. Nous roulons la trinquette et lâchons le deuxième ris pour adopter notre allure de croisière : un ris dans la grand-voile et génois en ciseau tangonné. Nos journées se succèdent avec un rythme assez régulier. Les repas prennent une importance capitale, et je me plais à cuisiner tous les jours des plats différents, avec un gâteau pour chaque goûter. Nous passons donc une grande partie de la journée à manger ! Sinon, nous nous occupons à tour de rôle des enfants pour nous laisser des temps de sieste.
Des activités adaptées
Nous écoutons beaucoup de podcasts de France Culture téléchargés avant le départ. Avec Anna, nous nous mettons au ukulélé pour le plus grand bonheur des petites oreilles de Julia et Gabriel. Pierre lance de temps en temps les lignes de pêche, quand la météo s'y prête. Nous pêchons ainsi deux grosses daurades coryphènes de 4 kilos chacune ! Malheureusement lors d'une touche d'un thon énorme, le poisson gagne la bataille et arrache la canne des mains de Pierre.
Le rythme tranquille d'une transat
Les journées s'enchaînent et se ressemblent. Les nuits sont calmes, et nous nous permettons de dormir pendant nos quarts. Un réveil toutes les demi-heures nous permet d'aller vérifier qu'aucun bateau n'est à l'horizon. Au final, le premier bateau que nous croisons est aperçu le 11e jour ! Tous les trois jours, nous allumons notre téléphone satellite pour prendre une météo et recevoir des nouvelles de nos proches. Quel bonheur de lire ces quelques mots des uns et des autres au milieu de l'océan !
Le skipper ne ferme qu'un œil
Pierre est plus heureux que jamais dans son élément, au milieu de l'océan et entouré par sa famille. Il m'épate par son sens marin. Il est capable de se réveiller en pleine nuit parce qu'il sent dans son sommeil que les voiles ne sont pas réglées de façon optimum, ou que le cap n'est pas le bon. Sans sortir de sa couchette, il nous donne les instructions pour rétablir la bonne allure du bateau. Lors des grains également, nous avons à peine le temps de l'appeler qu'il a déjà bondi de sa couchette et commencé à rouler le génois ! Ingénieux et bricoleur, il répare au fur et à mesure les différentes casses minimes que nous essuyons, dont la plus grosse frayeur aura été l'arrachage de notre colonne de barre lors d'un empannage sauvage.
Atterrissage aux Grenadines
Suite du récit, jeudi 25 janvier 2018.
Nous sommes arrivés à Union en début d'après-midi, après une ultime nuit à grain et une dernière pêche : un gros thon de 4 kilos ! La mer turquoise, les cocotiers et les plages de sable blanc nous accueillent... Nous nous hâtons de plonger dans l'eau chaude des Caraïbes ! Quel bonheur de sentir ses muscles se relâcher, après 15 jours à se gainer pour nous tenir en équilibre !
15 jours pour retrouver la terre
Nous partons ensuite à terre pour faire les formalités d'entrée puis déguster une glace promise aux enfants. Gabriel tangue et peine à marcher droit, il a l'air complètement saoul. Pour nous, c'est l'explosion de couleurs et d'odeurs qui nous plonge dans un état second. On peine à réaliser. On l'a fait, on a traversé l'Atlantique ! Et pourtant, rien n'a changé. Dans les faits, on vient juste de passer 15 jours en mer. Cette incroyable épreuve que j'avais tant appréhendée s'est finalement déroulée de façon si calme et sereine que j'en ai perdu le caractère mystique et initiatique que je lui avais conféré. Peu importe, l'important est d'être là, ensemble, dans ce cadre magnifique et cette douce chaleur tropicale...