Quand j'ai rencontré Arnaud Boissières il y a quelques années, il m'a demandé de lui filer un coup de main pour raconter l'histoire de son Vendée Globe 2012-13. Je lui ai répondu dans le texte : "Tout ce que tu veux, mais tu dois me promettre une chose : je t'accompagnerai sur la ligne de départ du prochain. Top là ?". Il a topé. Et comme le garçon, au-delà de ses qualités de marin qui ne sont plus à démontrer - pour rappel, il a à ce jour bouclé 2 Vendée Globe d'affilés et est parti pour son troisième ce matin - est un homme de parole et un ami fidèle. Il n'a jamais oublié cette promesse pourtant faite sur un zinc.
8h00
Nous voici donc ce matin avec Julia, sa femme, et David, son sponsor, à la Capitainerie de Port Olonna, fief au milieu du fief (pour mémoire, Arnaud vit et s'entraîne aux Sables... Est-il utile de préciser qu'il est le chouchou du public ?) En toute simplicité, il est venu à pied, histoire peut-être d'enchaîner quelques pas avant de se retrouver sur les 18m de son bateau ? Le public, déjà massé depuis des heures dans tous les recoins du quai de la Chaume, a les yeux tournés vers le chenal, attendant de voir passer ces aventuriers qui les font tant rêver, et ne se rend pas compte du coup que juste derrière son dos se trouve le local de l'étape. Dernier moment de calme et d'intimité avant le grand bain de foule.
8h10
Il faut y aller. Un semi-rigide de l'organisation nous attend sur le quai pour nous convoyer jusqu'à La Mie Câline qui attend au ponton. Je suis sur mon petit nuage de vivre au plus près ce moment déjà fort. Quand le public réalise que c'est "son" Cali qui est en train de fendre la foule, la rumeur se propage et les cris d'encouragements commencent à se faire de plus en plus forts. Les cornes de brume se mêlent aux vivats dans une ambiance de Carnaval. Arnaud se plie de bonne grâce au jeu et saluant tout le monde avec gentillesse.
9h00
Nous voilà sur le bateau ou l'équipe technique s'affaire aux ultimes préparatifs depuis le petit matin. Sur le ponton, réservé aux officiels et aux journalistes en ce jour de départ, c'est le défilé incessant des gens venus encourager les skippers une dernière fois. Tanguy de Lamotte, Vincent Riou, Alain Gauthier ou encore l'impayable Enda O'Coineen venu saluer Arnaud, barreau de chaise aux lèvres. Puis se sont les officiels, SAS le Prince Albert de Monaco en tête, qui viennent à leur tour toucher du doigt le rêve de ces marins.
9h30
"On démarre le moteur dans 4 min". Notre départ du ponton est prévu précisément à 10h10, Arnaud embrasse sa famille venue au grand complet. Sa maman lui remet les traditionnels petits cannelés qu'elle lui prépare avant chaque départ. Et l'homme se mue en marin, en quittant le ponton pour rejoindre sa monture.
10h10
C'est le départ du ponton. Sous une pluie d'applaudissements. La famille d'Arnaud est regroupée, comme hypnotisée de le voir partir une nouvelle fois. "On ne s'habitue pas" m'a confié son père hier soir lors du dîner d'adieu. Le bateau à peine déhalé, les premiers groupes qui entonnent des "Aller Arnaud" se manifestent depuis les bateaux restés au ponton, tous surchargés de spectateurs.
On longe les pontons déjà au 2/3 orphelins de leurs IMOCA qui s'exposaient fièrement au public depuis 3 semaines. À l'arrivée dans le chenal, l'ambiance devient folle. Les fanfares rivalisent avec les groupes qui donnent de la voix en entonnant des "Arnaud, Arnaud". Des banderoles par dizaines clament l'amour des sables pour son skipper.
En arrivant devant la capitainerie, on se croirait au stade de France un soir de match. À bord, nous sommes transpercés jusqu'aux os par ces encouragements. Quand Arnaud n'arrive plus à cacher son émotion et lâche quelques larmes, les équipiers s'autorisent aussi à se laisser aller, même les Bretons les plus endurcis du bord n'y résistent pas.
Et la ferveur ne baisse pas, bien au contraire quand on longe le groupe tout de jaune revêtu qui s'est massé à l'invitation de ses sponsors sous une immense photo du bateau accrochée à une façade. Jusqu'au bout du chenal et l'arrivée en pleine mer, le public se manifeste bruyamment et sans relâche. "J'emmagasine tout ça, et je m'en souviens dans les moments difficiles", me lâche Arnaud.
10h30
Nous sommes dehors du chenal. Chacun extériorise en plaisantant pendant quelques minutes, puis la course reprend ses droits. On envoie la grand-voile. Et ça discute pour savoir quelle voile envoyer pour le départ. On a tout matossé hier à tribord, car les premiers jours s'annoncent comme un sprint tribord amure.
Alex, à la barre, file rejoindre le reste de l'équipe à l'intérieur en me lançant "Tu regardes bien devant". Me voilà responsable d'un IMOCA dans la zone de départ du Vendée Globe. Gloups ! Heureusement, Arnaud revient vite, je n'aurais pas aimé avoir à prendre une décision !
10h50
Guillaume plombe l'hélice et envoie une photo à l'organisation. Nous croisons les autres concurrents qui s'agitent tous sur le pont. Je n'en reviens toujours pas d'être là au milieu de ce concentré de légendes (et futures légendes) de la voile.
11h30
"Quelqu'un veut un cannelé de ma maman ?" L'ambiance à bord est encore détendue, ça plaisante, on fait des photos, mais la vigilance est de mise, car il y a du monde sur l'eau. C'est vrai que le petit 12 nœuds de vent et le grand soleil prêtent à l'ambiance vacances, mais il faut rester concentré.
12h30
Ça y est, c'est l'heure des adieux, Arnaud n'est pas du genre à garder son équipe à bord jusqu'au tout dernier moment, il préfère se mettre dans le match tranquillement une demi-heure avant le départ. Nous embarquons donc à bord des pneumatiques d'assistance après une dernière accolade. C'est dur de quitter un ami, mais c'est joyeux de le voir heureux, enfin seul sur son bel oiseau.
13h02
"Bon Départ". Arnaud est dans le match, on est surexcités dans le bateau d'assistance. Le départ n'aurait pas pu être plus spectaculaire. Nous le suivons au plus près pendant quelques miles, puis d'un dernier au revoir il nous fait comprendre qu'il préfère être seul dans sa course. Nous le laissons donc avec son compagnon de route, pour ce voyage qu'il a tant préparé et autour duquel sa vie est organisée depuis plus de 12 ans maintenant. Une belle histoire dont la nouvelle page qui s'ouvre sera, je l'espère de tout cœur, aussi belle que les précédentes. Bon voyage l'ami, bonne course Cali, on sera là à ton retour. Et en 2020.